Merlan Colbert comme à l'Huîtrière
C’est à cause de Pascale, avec son billet sur la morue, elle m’a mis en tête de passer après le boulot chez le poissonnier pour en acheter un beau morceau, afin qu’il soit dessalé pour samedi, mais on en reparlera. Me promener chez un bon poissonnier, c’est un peu comme si on baladait une meute de chiens chez un fabricant de saucisses, pas facile de me retenir...
Et alors, qu’est ce que je trouve dans un joli panier sans glace? De superbes merlans, l’œil vif, luisants comme l’argent. Alors je craque, d’une part c’est un poisson délectable, d’autre part, c’est un trop rare plaisir de pouvoir acheter du très bon poisson à moins de dix euros le kilo.
Ce que j'ai acheté, c'est du "merlan brillant", qui a trois cousins sur nos côtes, le "merlan bleu", à la chair peu estimée, qui sert à fabriquer l'horrible surimi, le "tacaud" qui est une merveille mais qui perd toutes ses qualités s'il n'est pas cuisiné dans les heures suivant sa pêche (les airelles de Fernand Raynaud, version cantonnier de la mer), et la "moruette", que je ne crois pas avoir déjà goûté, chacun a ses petites lacunes...
La fraîcheur du merlan s'estime justement au fait qu'il est brillant, ce qui signifie qu'il a encore ses très petites écailles, qui s'en vont toutes seules dès qu'il s'attarde à l'air. L'oeil doit être bien bombé et cristallin.
Mon problème était que quelques minutes auparavant, ma fille au téléphone m'avait réclamé des escalopes de veau pour le dîner que j'avais le privilège de passer en tête à tête avec elle, madame étant retenue au bureau par ce type de réunion de consultants qui ne semble efficace qu'une fois la nuit tombée... Il fallait donc que j'assure question recette et présentation, et je me suis souvenu du livre de l'Huîtrière.
L'huîtrière
C'est un restaurant de poissons à Lille, qui fait aussi poissonnerie de luxe, une institution familiale de plus d'un siècle, un incontournable selon moi. Il se situe Rue des Chats-Bossus, une adresse qui me laisse rêveur, s'agissant de poissons. C'est bon, c'est même très bon, la cuisine est un peu moins classique désormais, mais c'est toujours la grande tradition. Il m'est arrivé de presque rater un train juste pour être resté regarder le maître d'hôtel préparer une crêpe suzette à la table voisine. C'est bon et c'est beau aussi, on y voit en particulier des mosaïques du grand peintre breton Mathurin Méheut.
Bref, cette honorable maison a marqué son centenaire en 1998 par l'édition d'un livre : "L'Huîtrière à Lille, 100 ans, 100 recettes" (Éditions Du Quesne). Je ne crois pas qu'il soit facile à trouver en librairie, ce qui vous fait une seconde raison de vous rendre sur place. Dans ce livre, j'avais déjà repéré une recette au four d'un merlan façon Colbert, qui est normalement frit, et c'est celle que j'ai choisie ce soir.
Préparation du merlan
Il faut l'ouvrir en portefeuille, c'est à dire par le dos, c'est assez facile, mais il y faut de la méthode. On commence par décoller un filet sans aller crever la peau du ventre :
Puis on procède de même avec l'autre filet, de façon à dégager l'arête centrale; on coupe cette dernière au niveau de la queue, puis on fait de même côté tête, il vaut mieux se munir de ciseaux d'écailler (...et toujours cet oeil qui me surveille...) :
On termine en le vidant si ce n'est déjà fait, en l'ébarbant, en enlevant les branchies, on le rince et on l'éponge. C'est important d'enlever les branchies d'un poisson, elles donnent de l'amertume. Même chose lorsqu'on confectionne un fumet.
Au final, si vous obtenez quelque chose qui ressemble à la photo ci-dessous, vous pouvez être fiers de moi ;-)) Alors oui, il y a un deuxième poisson, ceux qui suivent depuis le début on noté que je dînais avec ma puce de mer; j'avais donc demandé "un petit et un moyen" au poissonnier, mais question "moyen", c'est tout ce qu'il a pu faire... J'anticipe, mais lorsque le plat est arrivé sur la table, il a fallu que je partage le moyen; toujours est-il que je n'ai plus entendu parler d'escalope de toute la soirée, et pourtant une bretonne de dix ans, c'est facilement le genre Idéfix...
Merlan à la Colbert comme à l'Huîtrière
Pour une fois, je n'ai pris que peu de libertés par rapport à la recette originale, quand on fait dans le classique, il faut assumer jusqu'au bout.
Ingrédients
- deux merlans en portefeuille
- trois échalotes
- un demi verre de vin blanc
- beurre
- chapelure
- sel et poivre blanc
Recette
Préchauffez le four à 220°. Pelez les échalotes, hâchez les finement et faites les suer sans coloration dans un peu de beurre.
Beurrez légèrement une case en terre, parsemez-la des échalotes, et posez les poissons par dessus. Versez le demi verre de vin blanc autour. Saupoudrez-les de chapelure (j'utilise des petits pains d'épautre grillés qu'on trouve en épicerie bio, que j'écrase, je vous garantis que çà change tout et que çà concilie les plus récalcitrants à la chapelure!). Disposez quelques fragments de beurre, salez et poivrez (très légèrement).
Passez au four très chaud genre six minutes, la bonne cuisson se détermine au moment où l'oeil du poisson blanchit.
Bon, je me couvre la tête de cendres pour la qualité de la photo finale, mais d'une part, on avait vraiment très faim, et d'autre part, encore heureux que je n'aie pas eu l'idée de les photographier sur l'assiette, c'est très délicat à manipuler; c'est à ce moment fatidique que je me suis amèrement souvenu qu'à l'Huîtrière, ils les servaient directement dans des plats de cuisson individuels...
Ce qui me plaît bien dans les recettes qui réclament un demi verre de vin, c'est qu'il en reste un peu dans la bouteille. J'ai donc bu là-dessus un muscadet de Jo(seph) Landron, du domaine Château la Carizière, de très loin le meilleur rapport qualité prix de ce vignoble, puisque pour cinq euros environ, on a un très bon vin.
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