Tartare de daurade royale au poivre vert et aux herbes
Je rédige ce billet du fond de ma Bretagne, et j'ai un vague malaise à l'idée de présenter cette semaine une recette utilisant un poisson d'élevage, alors que la mer et les étalages autour de moi pullulent (si çà pouvait être vrai...) de produits magnifiques en cette saison. Le fait est que je cuisine beaucoup durant cette semaine de vacances, je vous raconterai cela un peu plus tard, si je suis sage.
Poisson d'élevage et poisson sauvage
J'ai parfois évoqué le poisson d'élevage dans ces billets, souvent pour ne pas en dire du bien, je ne me souviens pas avoir fait une synthèse du sujet; je ne prétends pas en avoir une vue exhaustive, mais juste quelques idées bien arrêtées et documentées.
De plus en plus fréquemment, on trouve dans les magazines culinaires ou autres, des tests comparatifs des saveurs respectives des poissons sauvages et de ceux d'élevage, avec des jurys hétéroclites, réunissant des gens des métiers de bouche (du poissonnier au restaurateur), des journalistes et quelques passants.
Les poissons mis en comparaison sont des bars, des daurades royales et des turbots. Pour dégager rapidement une tendance, le bar d'élevage "Label Rouge" sort souvent vainqueur de sa catégorie, suivi à égalité par le bar sauvage et le bar d'élevage lambda. Pour les daurades, on obtient une égalité entre les pêchées et les élevées. Le turbot par contre, est généralement considéré comme meilleur lorsqu'il est sauvage.
Je ne contesterai pas ces résultats, ne m'étant jamais livré à ces comparaisons. J'ai juste deux idées sur la question, la première étant que le poisson est servi juste poché ou passé à la vapeur, nature; or on sait que les poissons d'élevage sont plus gras (au moins de 10%) que les poissons sauvages. Un aliment gras parait toujours plus savoureux que son équivalent maigre : la graisse, je ne vous apprends rien, est un excellent vecteur de saveur. Diététiquement, même plus gras, ces poissons blancs restent néanmoins équilibrés, il n'en va pas forcément de même pour le saumon, naturellement gras. La raison pour laquelle le poisson d'élevage est plus gras est simple, sa nourriture lui est donnée régulièrement et copieusement, tandis que le poisson sauvage doit se démener pour se nourrir de façon plus sporadique.
Ma seconde idée tient à la qualité du poisson sauvage lui même, un bar de ligne frais pêché à la bonne saison et mangé frais, surpassera de loin tout bar d'élevage fut il labellisé. Par sa saveur bien entendu, mais également par la texture de sa chair. La taille du poisson compte aussi énormément.
Le poisson d'élevage présente trois avantages, la régularité de l'approvisionnement, le prix (encore qu'il me paraisse élevé pour un tel produit), et l'absence de certains parasites car ils sont "vermifugés". Il y a également beaucoup de débats sur la plus ou moins grande présence de métaux lourds et autres dioxines, les éleveurs de saumon s'en souviennent encore... Pour les sauvages, c'est l'endroit où ils sont pêchés qui fait la différence, pour les poissons d'élevage, l'endroit où ils sont élevés compte, mais aussi la nourriture qui leur est donnée.
Je n'ai pas d'opinion tranchée sur les qualités gustatives, économiques ou de sécurité alimentaire (sauf lorsque je mange le poisson cru), ma réticence à la prolifération des piscicultures marines est de tout ordre.
Imaginez que pour vous nourrir, au lieu de vaches, de moutons et d'autres paisibles herbivores ou omnivores, vous éleviez en batterie des tigres, des loups, des belettes... et que pour les nourrir vous n'ayez d'autre recours que d'aller dans la nature chasser indifféremment toutes sortes d'animaux pour assurer leur subsistance. Une idée très stupide? C'est pourtant bien le cas en aquaculture, saumons, bars, dorades et turbots sont des carnivores.
La base de leur alimentation est de la farine de poisson, obtenue à partir de "poisson fourrage", à savoir du poisson sauvage pêché au petit bonheur et sans beaucoup de contrôles. Un peu comme le surimi, sauf qu'on ne le peint pas en orange (sauf s'il s'agit de colorer la chair des saumons et des truites de mer), ce qui est une brimade gratuite, on sait que les poissons distinguent les couleurs, demandez à ceux qui pêchent au leurre!
Ainsi, il faut dans les quatre kilos de poisson sauvage pour produire un kilo de saumon d'élevage, et jusqu'à sept kilos pour produire un kilo d'un gros bar d'élevage. Évidemment, si les poissons pouvaient ingurgiter aussi facilement des protéines végétales que les vaches des farines animales, je serais d'accord avec l'idée que la pisciculture est un bon moyen de limiter la surexploitation des ressources halieutiques, mais non, c'est tout le contraire.
(J'ai lu sur des sites très militants une autre façon de compter, genre : "Il faut 5 kg de poisson sauvage pour faire 1 kg de farine, et 5 kg de farine pour faire 1 kg de saumon d'élevage, ce qui fait 25 kg de poisson sauvage pour 1 kg de saumon d'élevage). Je ne sais pas quels chiffres sont les bons, on trouve tout et n'importe quoi sur le sujet, en ce qui me concerne, les premiers suffisent à me dissuader...)
Il n'y a que deux poissons élevés à grande échelle qui soient herbivores ou détritivores, le tilapia et le pangasus. Après, on aime ou on aime pas, je ne juge pas et ce n'est pas demain que j'ai l'intention d'y goûter.
L'impact des élevages sur la nature ne s'arrête pas là. Il y a également une contamination des espèces sauvages à proximité, par des maladies ou des parasites que la forte concentration d'animaux dans les élevages ne manque pas de provoquer, les poissons élevés sont régulièrement traités, mais pas leurs congénères libres.
On ne peut non plus ignorer l'effet sur le milieu marin des istallations aquacole, qui se manifeste par une raréfaction de l'oxygène dans la mer et l'augmentation des déchets de rejet, posant problème dans des endroits où l'eau n'est pas suffisamment brassée. Ainsi dans de nombreux endroits de Norvège, on déplace les fermes à saumon tous les 5 ou 6 ans pour éviter les problème d'auto-pollution. On compare souvent les élevages de saumons aux porcheries industrielles, il y a du vrai.
Plus sournoisement, il y a une diffusion "génétique" (le mot n'est pas totalement exact) qui se produit à partir de poissons d'élevage qui s'échappent, ainsi on estime que la souche "originelle" des saumons du nord de l'Ecosse n'existe quasiment plus. On ne peut pas parler de perte de la bioversité, car ce sont des galipettes entre salmo salmar, mais quand même...
L'impact est parfois d'ordre géographique et humain, l'un des meilleurs exemples étant la destructions d'immenses zones de mangroves, indispensables à l'alimentation des populations locales, pour y implanter des élevages de crevettes. Selon les chiffres trouvés sur le site de l'Ifremer, en 2005 on a élevé 2 650 000 tonnes de crevettes "tropicales" dans le monde, soit seulement 6,2% de la production aquacole en tonnage, mais 20, 5% en valeur. Bref, une aubaine financière pour les pays ayant un littoral baigné d'une mer à la température idoine, tous s'y mettent avec frénésie. La mangrove est ainsi devenue depuis peu l'écosystème le plus menacé au monde, rien que çà.
Certains états développent cette activité de façon vraiment cynique et désastreuse, d'autres comme Madagascar, ont adopté une approche raisonnée (y compris pour la pêche de cette espèce, où néanmoins de gros progrès techniques restent à faire), je ne saurais d'ailleurs trop vous recommander de privilégier cette origine lorsque vous achetez des crevettes tropicales!
Bon j'en termine avec cette courte et donc incomplète synthèse, mais bon, c'est un billet d'opinion, pas une thèse.
Tartare de daurade royale au poivre vert et aux herbes
Ingrédients
- une daurade royale de 800 g environ
- poivre vert en saumure
- persil frisé
- basilic
- ciboulette
- un demi citron vert
- un citron jaune
- vinaigre de riz ambré
- poivre blanc
J'utilise donc des daurades d'élevages d'Atlantique du nord-est, et non de Grèce ou de Turquie, dont la qualité est parfois (souvent) très décevante. Je préfère de loin le poisson sauvage, mais l'intérêt des poissons d'élevage est de ne quasiment pas être infestés de parasites parfois dangereux pour la santé humaine, car ils sont traités (les bios également). Un poisson sauvage devrait être congelé pendant 48 heures pour éviter tout risque, seul en effet le froid prolongé ou la cuisson tuent les anisakis. J'avoue ne l'avoir jamais fait, jusqu'à ce que ma fille se mette au poisson cru.
Bien que préférant habituellement le persil plat, je trouve qu'avec certaines recettes marines, le persil frisé apporte une tonalité plus fine et aromatique, du moins quand il est jeune et frais.
Le vinaigre de riz ambré se marie particulièrement bien avec le poisson cru, ce n'est pas moi qui l'ait inventé. Vous pouvez à la rigueur le remplacer par du vinaigre de Jerez.
Recette
Broyez finement une bonne vingtaine de feuilles de basilic et mélangez les à un petit verre d'huile d'olive. Pelez à vif le citron vert et prélevez les quartiers entre les peaux. Écrasez sommairement une cuiller à soupe rase de poivre vert en saumure avec une fourchette. Hachez pas trop fin une petite poignée de persil frisé, coupez en tronçons une quinzaine de tiges de ciboulette; conservez quelques tiges pour la décoration. Prélevez les filets du poisson, ôtez la peau et les arêtes, les laver et les sécher.
Hachez au couteau ou à la demi-lune la chair de poisson, assez grossièrement. Ajoutez une cuiller à soupe d'huile d'olive fruitée, les herbes, le poivre vert et du poivre blanc. Juste avant de servir, ajoutez un trait de vinaigre de riz ambré et le jus d'un demi citron jaune. Salez légèrement.
Servez en confectionnant un palet dans l'assiette, entourez sans excès d'huile au basilic, puis décorez le palet avec deux ou trois quartiers de citron vert et quelques tiges de ciboulette. Là justement, j'ai eu la main un peu lourde sur la quantité d'huile au basilic...