Queues de langoustines à la braise
Bombardes et bombardements à Brest
Je vais vous parler un peu de Brest aujourd'hui, une ville qui sonne un peu comme en écho au glas du Havre, port militaire rasé par les bombardements alliés, anglais surtout. 165 bombardements entre juin 1940 et septembre 1944, il ne restait debout des constructions d'origine, que trois ou quatre maisons et le château, abîmé mais toujours debout, avec son arme d'une autre époque, une bombarde, quelle dérision...
Certains aviateurs, maladroits ou peu courageux, n'allaient pas jusqu'à la ville se confronter aux tirs de DCA de la Flak allemande, mais lâchaient leur pluie mortelle plus au nord, dans mon patelin par exemple. Depuis, nous aimons Brest, forteresse fragile, mais fière et lumineuse.
Bien que sa reconstruction hâtive après-guerre en a fait une ville assez grise, rectiligne dans ses avenues, elle est vallonnée, elle plonge vers ses ports, militaire, marchand, de pêche et de plaisance. Cette ville est redevenue riche d'endroits et de personnes, de coins où se balader, boire des verres, célébrer la culture vivante, entre Centre Culturel et Jeudis du Port, rencontrer les marins de tous pays, faire un tour à la criée ou s'embarquer pour Ouessant et toutes les îles.
Le plus beau texte sur cette ville détruite, on le doit à Jacques Prévert, un hymne à l'amour et au désespoir :
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
Voici ce poème dit par Serge ReggianiReggiani :
La folie des bombardes ne s'est pas éteinte, elle est désormais gaie et décalée, les jeunes brestois sont universels, regardez cette vidéo qui commence à la gare (le ciel bleu, c'est sans trucage!) et se termine dans je ne sais quel supermarché (Intermarché, mais de Brest mêm' ou de quel quartier ?), il est là le vrai folklore, au sens noble du terme qui est de l'appropriation et non de l'enfermement. Quand tout a été détruit, il faut tout refaire, et vite...
Pour les inconditionnels des Groove Boys, voici leur dernière prestation au "Festival des chants marins", de Paimpol, voici quelques jours, images prises depuis la foule, c'était un succès. Autant vous dire que la litanie classique de ces chants désormais académiques (Youp'la, souque au cabestan mon petit gars, lonla, oublie pas que la paimpolaise t'attend au Pays Breton) en a été sérieusement décapée!
Il n'empêche que j'ai été contrarié, par les séquelles de la guerre, carrément! Dimanche dernier je me dirigeais benoîtement vers Brest, histoire de passer au marché de la rue de Lyon, d'en ramener quelques beaux produits pour le dîner du soir, où je recevais un copain anglais totalement acquis à mes abers. On pourrait y voir comme une vengeance de l'histoire, mais ce n'est pas mon genre.
On considère que sur les quelques 30.000 bombes tombées sur Brest, 10% d'entre elles n'ont pas explosé. On en retrouve très souvent, et alors le processus est toujours le même, périmètre de sécurité et évacuation des habitants à grande échelle, le temps que les artificiers interviennent. Ce dimanche, comme dimanche prochain d'ailleurs, c'est tombé du Pont de Recouvrance jusqu'aux Halles Saint Louis, pas question donc d'accéder au marché...
Il était déjà tard, ce qui m'a conduit à servir du congelé à mes invités, un moindre mal en comparaison de 16.000 personnes virées de leur quartier en attendant que ça se passe.
Queues de langoustines à la braise
Ingrédients
- queues de langoustines
- whisky
- laurier
- paprika doux
- piment du type piri-piri (Portugal)
- huile d'olive
Il fut un temps pas si lointain, je trouvais dans les bacs à surgelés d'un supermarché du coin, des queues de langoustines, estampillées "Pêcheurs Bretons" ou quelque chose du genre, un vrai bon produit à passer à la braise sans complexe, une saveur immédiate, authentique et pas très chère.
N'en trouvant plus depuis deux ou trois ans, je me suis rabattu sur celles de chez Picard. Grosse déception, même si la plupart était de bonne qualité, il n'empêche que j'ai trouvé dans les deux barquettes un nombre significatif de queues molles (no comment les potes!), et beaucoup de déchets de carapace, j'ai pesé pour trouver un taux de 15% d'immangeable, photo ci-dessous à l'appui.
Monsieur Picard, quand on vend un produit à 23,70 euros le kilo (oui, un chiffre étrange, en fait c'est psychologiquement vendu à 6,95 euros les 300 grammes), d'une part on ne met pas autant de déchets dans le lot, d'autre part on considère aussi qu'avec des langoustines vivantes, à 15 euros les petites ou à 25 euros au max les moyennes, les consommateurs vont se régaler, utiliser les têtes pour un fumet ou une bisque (voire les griller entières, mais ce n'est plus la même recette) et de plus, faire l'économie du disulfite de sodium ajouté comme conservateur...
Recette
Utilisez des queues de langoustines fraîches, ou si vous prenez des congelées, faites les doucement décongeler au frigo. Entaillez la partie supérieure de la carapace afin d'ôter le boyau noir et de permettre à la marinade de bien pénétrer.
Dans un saladier, mélanger les queues de langoustines, un trait de whisky, un peu d'huile d'olive, quelques pincées de paprika doux, du piment et les feuilles de laurier coupées en morceaux, comme ci dessous. Laissez mariner au moins deux heures.
Mettez les sur une braise vive, assez proches de la chaleur, afin qu'elles cuisent rapidement sans se dessécher. Comptez environ deux minutes pour chaque face de la grille panier, et remplacez là par une côte de oeuf, par exemple, histoire d'amortir le feu de bois!
La grille panier vient de Provence, où elle était principalement utilisée pour cuire à la braise, les tomates à la provençale. De ces ustensiles ingénieux, on n'en trouve plus hélas plus, ou difficilement dans les rayons barbecue des jardineries ou autres hypermarchés. Je m'en sers beaucoup, notamment pour passer à la braise de petites palourdes, un délice aussi.
Vous ai-je dit qu'on pouvait ajouter un peu de sel fin marin au moment de servir? Que cette façon de les cuire était la seule possible pour savourer néanmoins un produit congelé un peu pourrave?