Gratin de morue à l'auvergnate
Souviens-toi du naze de Soissons
Je pense à être l'un des derniers participants à écrire que le Salon des blogs culinaires de Soissons, c’était juste à tomber, pour parler comme les blogueurs justement. Parce que disons-le tout net, c’est moins un salon des blogs, qu’une réunion de blogueurs en vase clos; vous pensez bien que rendu en eaux soissonneuses, je n’allais pas vous éviter les allusions vaseuses…
A cela près que j’ai manqué d’à propos, car au sein de notre déballage de tapas de coquillages, il n’y avait pas la moindre clovisse, en référence au fier sicambre, fils du roi des francs saliens, Childéric 1er et de la reine Basine de Thuringe. Cela dit, «clovisse» n’est que le nom donné à la palourde en Méditerranée, et on arrive en fin de saison de ce bivalve.
Pour autant, j’y ai passé un excellent moment, c’est toujours un plaisir de rencontrer, de voir ou revoir, découvrir des personnes qui comme moi, non contentes de prendre plaisir à cuisiner et à partager avec leurs proches, exportent cette jubilation sur des blogs, plus ou moins bien écrits, plus au moins bien illustrés, plus ou moins comestibles ou plus ou moins commerciaux, ce qui importe peu au fond : l’essentiel étant de le faire comme on le sent.
Revenons-en à Clovis et à son baptême, qui exprime d’une certaine façon l’antithèse de la cuisine, puisque vous vous souvenez sans doute de la phrase de l’évêque de Reims, le Saint (et anagramme) Chef Rémi venu en voisin, au moment de l’aspersion : «Courbe toi fier sicambre; adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré». Ce n’est certes pas une phrase à retenir en cuisine, je préfère me souvenir de la nasse de poissons, surtout ici, en pleine ambiance mérouvingienne.
Ceux qui me connaissent savent que je suis plutôt du genre «Cambre-toi fier sicourbe», et ils ne seront pas étonnés d’apprendre qu’en dépit de cette ambiance très bon enfant, j’ai réussi à râler. D’abord parce que je ne trouvais pas l’endroit où ma comparse Olivia et moi devions effectuer notre démonstration de Breizh Tapas, car il avait été modifié par rapport à ce qui était indiqué dans le livret-programme, sans que personne ne soit prévenu. Désolé pour ceux qui nous ont cherché dans la salle des sponsors irlandais, j’aurais pourtant adoré que nous fassions notre cuisine non loin d'eux, nous nous serions passé le celte avec allégresse...
- Cad is ainm duit?
- Patrick!
- Cool... Cé bin sin?
- Olivia
- Hum... Cá bhfuil an salann?
Très sympa de retrouver l’Irlande à Soissons, ce fut mon sponsor préféré, avec leur agneau, leur bœuf, leur saumon, leurs huîtres, leur musique et leur whiskey. J’ai eu moins d’accointances avec Lesieur (tu penses nous autres, c’est beurre salé), avec le Lapin de France (tu penses, nous autres marins), avec les produits laitiers (tu penses, avec les vins d’Alsace à quelques pas), avec les pistaches (tu penses, sans l’apéro c’est moins rigolo) et je ne sais plus encore qui…
Mon second motif de contrariété a été de ne disposer que de très peu de matériel de base pour notre mise en place, nous avions pourtant l’impression d’avoir assuré ceinture (pour moi) et bretelles (pour elle), en apportant beaucoup de choses outre les nombreux produits frais, moules à sablés, mallette à couteaux, maryse, thermomètre à sucre, etc…
Du coup, mon humeur est malheureusement un peu tombée sur le jeune étudiant du Lycée Hôtelier de Soissons voué à nous aider lors de cette démo : s’il passe par là ou si quelqu’un peut lui transmettre… j’en suis sincèrement désolé, mais souvent en cuisine Clovis à bois, comme le congre est aussi rugueux que la morue est gueuse. En toute franchise, ces étudiants ont été vraiment sympas et efficaces durant le salon, notamment une très jolie et souriante au bar samedi après-midi.
"Souviens-toi du cul-de-poule de Soissons"
Je reconnais aussi que nous avions un programme ambitieux à réaliser en cinquante minutes, pour ma part quatre tapas de coquillages différents, et pour Olivia, des sablés bretons superposant quatre préparations différentes, le genre château de sablé, vous voyez le truc? (et quatre et quatre font huîtres, lesquelles auraient dû être le cinquième coquillage, assaisonnées au shanso et à la grenade, mais nous y avons finalement renoncé). Bref, du speed et du dépassement de délai, assez largement dûs au temps passé à attendre une assiette, une fourchette, un tire-bouchon etc., à laver nos rares ustensiles au fur et à mesure.
Nous venions à ce salon pour la première fois. Dorénavant, nous ne serons pas plus modestes dans nos ambitions, mais nous prendrons bien soin de tout prévoir à l’avance, y compris le matériel de survie, genre une manique pour sortir les plats du four, un torchon sec et propre, du savon, une ou deux cuillers et fourchettes etc., car cela a bien failli être notre Salon du Bug Culinaire pour ces aspects pratiques. Il faut toutefois reconnaître qu'organiser 80 démonstrations en trois lieux différents sur deux jours, plus les repas et l'hébergement, n'est pas franchement une sinécure et que dans l'ensemble, c'était vraiment très bien.
Cela dit en dépit d'un quart d'heure de retard, nous étions heureux de réussir et de commenter en live nos recettes, de les faire goûter immédiatement, merci beaucoup à ceux qui ont assisté à notre duo sur piano, à ceux qui l'ont photographié, comme à ceux qui nous en ont fait des retours (trop) élogieux par différents canaux.
"L'Auréole, parce que je le vaux bien"
Olivia sur son blog A Turtle In A Kitchen a écrit un long et beau billet sur la genèse et le déroulement de notre escapade à Soissons, vous y trouverez les liens vers les recettes de tapas de coquillage, et l’intégrale de la recette créée pour l'occasion, de ses délicieux (et chronophages ;-)) sablés.
Pastèque sur le gâteau, vous y verrez des photos de cette prestation où nous sommes déguisés en biroutes d’amarrage, ce qui à tout prendre, est plus gai que le plus orthodoxe "coffre de corps-mort". D'ailleurs son billet ressemble à son appartement, où il y a des posters de moi sur tous les murs, aux côtés de quelques portraits du roi Arthur, quelle émotion!
Je préfère pour ma part vous montrer l’un de nos nombreux moments de détente, celui où j’ai une blonde bretonne à tribord et une autre à bâbord. Notez qu’au bar du Lycée Hôtelier, ont sert de la Coreff Bio, à mon avis la meilleure des bières brassées en Bretagne. Et tant pis pour la Guinness brune ou la Murphy's rousse!
(Merci pour la photo Aude)
Je conclus cette première partie de billet en remerciant aussi sincèrement qu'affectueusement Olivia d’avoir eu l’idée de m’entraîner en ces lieux où pourtant il n’y a même pas la mer, mais quand-même beaucoup d’énergie et de joie.
J’ai par chance fait pas mal de jolies rencontres depuis que me suis lancé durant l’été 2006 dans l’aventure de ce blog. Ce duo de Breizh Tapas fut aussi et surtout pour moi l'illustration d’une amitié de tous instants et à toute épreuve, pourtant à son origine aussi improbable que virtuelle. Croyez-moi, cela vaut bien plus que douze robots de cuisine et trois quintaux de farine à gâteau.
Du gratin de morue
Bien évidemment, contrairement à mon habitude où j'assure une logique thématique dans mes billets, il ne faut chercher aucun lien entre cette recette et le salon des blogs culinaires, ce serait la fin des haricots et à Soissons, c'est très mal vu.
Dès qu’il se met à faire froid, surtout en Bretagne où neige et glace sont rares, je retrouve une âme de terre-neuva, à casser à la hache la glace qui s’accumule sur les plats-bords et les haubans du navire, risquant de le déséquilibrer jusqu’au retournement. Là bas, ce n’étaient pas des vases qu’ils cassaient à la hache, ni même des cous de guerriers, seulement cette gangue blanche et dure menaçant de faire dessaler le bateau comme la première morue venue.
Bref, j’ai envie de bouffer des haubans et de la morue jusque dans le coeur des frites, de la morue qui est du cabillaud séché et salé. Autant je parviens assez facilement à renoncer au cabillaud frais pour le remplacer par d’autres espèces de poissons moins menacées, autant je n’ai pas trouvé de succédané satisfaisant à la morue; je nous en accorde donc deux ou trois fois par an.
Le succès de ce poisson séché et salé, assez éclatant pour qu’on en retrouve d’anciennes recettes jusqu’en Auvergne (où le point commun avec la Bretagne est un socle granitique ancien, et non une importante façade maritime), est essentiellement dû à d'anciens impératifs religieux. Les jours où l’église catholique proscrivait la viande étaient en effet nombreux. Aux très connus quarante jours du Carême, s’ajoutaient chaque vendredi et chaque samedi, la vigile d'une dizaine de fêtes d'obligation, les Quatre-Temps, les Rogations et la Saint-Marc, soit un total de 160 jours par an. Celui qui a un jour décrété qu’il fallait manger du poisson deux fois par semaine n’a rien inventé.
Manger du poisson deux fois par semaine me parait un très grand maximum. Je pourrais en consommer à chaque repas, si la ressource halieutique ne devenait pas si rare ou si les poissons d'élevage, souvent plus chimiquement pollués que les sauvages mais sans parasite, n'étaient pas nourris avec plusieurs fois leur poids en "poisson fourrage". A côté de cela, on peut manger presque sans compter tous les coquillages, presque tous les crustacés, et tous les céphalopodes, alors diversifions nos protéines marines!
La morue salée et séchée a d’une part d’incontestables qualités de conservation, et d’autre part elle se prête à un très grand nombre de préparations, on la retrouve ainsi un peu partout en Europe. Le plat ci-dessous est un mixte de deux recettes, celle de la morue à l’auvergnate, qui a pour base des pommes de terre sautées, de la morue effeuillée, du persil et de l’ail, et le gratin de morue, qu’on réalise généralement avec une béchamel, mais que je préfère nettement cuisiner à la crème.
Gratin de morue à l’auvergnate
Ingrédients
- 600 grammes de filet de morue salée séchée
- 500 grammes de pommes de terre
- 5 gousses d'ail
- 10 tiges de persil plat
- crème fraîche
- lait
- poivre noir
- noix de muscade
- piment d'Espelette (facultatif)
- fromage de Cantal demi-fait
Recette
1) Dessalage de la morue
Le morceau de morue que vous devinez ci-dessus pesait plus d'un kilo, j'ai réservé une partie de la chair pour une petite brandade à confectionner dans quelques jours, pour une expérience oenologique dont je vous tiendrai au courant, pour peu qu'elle soit convaincante. Il s'agit d'un morceau de filet pris dans le dos, juste derrière la tête, c'est là où le muscle est le plus large, et où on peut obtenir de très beaux feuillets de chair.
Un morceau de cette épaisseur doit être mis à dessaler dans de l'eau claire pendant au moins 24 heures, pouvant être portées à 36 heures pour les personnes très adverses à l'excès de saveur salée. Depuis que je pratique cet exercice qui parait anodin, je me suis forgé quelques convictions...
Il faut commencer par rincer soigneusement le poisson, pour ôter tout le sel cristallisé en surface de la chair et de la peau. Il convient ensuite de le poser, peau vers le haut (sinon le sel qui fond reste emprisonné sous cette membrane imperméable), dans un contenant assez large, sans que la chair ne touche le fond, où va se déposer la saumure. Utilisez une passoire, ou plus simplement une assiette creuse retournée. On recouvre alors de beaucoup d'eau claire, qu'on renouvellera deux ou trois fois.
La morue doit dessaler dans un endroit frais, faute de quoi le collagène qui assure le moelleux de la chair de poisson (enfin, je crois que c'est ça), va se dissoudre dans l'eau, et on obtient alors une chair sèche, voire dure.
2) Cuisson et apprêt de la morue
Pour exactement la même raison, il faut la cuire doucement, la coagulation du collagène démarre à environ 40°. Mettez-la dans de l'eau à peine tiède, avec un peu de thym et de laurier, portez à frémissement, et laissez cuire ainsi de 10 à 15 minutes, selon l'épaisseur du morceau. Évitez à tout prix l'ébullition, si elle se produisait, arrêtez-la en versant un peu d'eau froide.
Sortez-la de l'eau, et laissez-la refroidir un peu, mais seulement le temps de pouvoir la manipuler sans trop vous brûler, car ainsi, la peau s'enlèvera facilement et les feuillets se détacheront sans coller les uns aux aux autres.
Ce mode de préparation est valable pour toutes les recettes où la morue n'est pas présentée entière. Utilisez les beaux feuillet pour des préparations où ils seront mis en valeur, réservez les miettes et les plus petits fragments pour des plats où ils seront broyés, comme la brandade, le féroce, ou le chiquetaille. Pour ces dernières recettes d'ailleurs, il est plus économique d'acheter de la morue déjà effilée.
3) Préparation du gratin
Prenez autant de pommes de terre en volume que de morue effeuillée. Épluchez-les et faites cuire à l'eau non salée, en les gardant encore assez fermes. Une fois ainsi pré-cuites, coupez-les en rondelles, et faites-les rissoler dans un soupçon d'huile d'olive et/ou de beurre. Lorsqu'elles ont un peu coloré, ajoutez l'ail, le persil haché et la morue, mélangez encore une ou deux minutes sur le feu, puis passez le tout dans un plat à gratin, choisi un peu profond.
Pendant que ça refroidit, détendez de la crème fraîche épaisse avec une fois et demie son volume de lait (demi-écrémé, c'est la touche light de cette recette), assaisonnez de poivre noir, de noix de muscade râpée, et si vous le souhaitez, d'un peu de piment d'Espelette. Versez uniformément ce mélange dans le plat à gratin, de façon toutefois à ne pas noyer l'appareil, à vue d'oeil j'avais environ 200 ml de crème fleurette pour un kilo de matière première.
Coupez du fromage de Cantal (le cantal de vaches salers est merveilleux), en petits dés et parsemez-en assez généreusement la préparation, une fois fondu, il doit bien la recouvrir. Enfournez à 170° pour 20 à 30 minutes, terminez en position "gril" pour colorer sans excès le fromage, comme ci-dessous.
Ce plat doit être servi avec une salade verte, qui apporte un peu de fraîcheur indispensable pour mieux savourer l’ensemble. Ici, c'est une salade bien de saison, de la barbe-de-capucin, une chicorée amère blanchie dans l’obscurité, qui peut être considérée comme un happy medium entre la chicorée frisée et l'endive. A servir avec une vinaigrette à l'huile d'olive, bien corsée en vinaigre de vin.
Ce n'est certes pas une recette sophistiquée, et comme le dit ma fille, c'est le genre de plat qui te reste deux minutes en bouche, et deux ans sur les hanches... Cela dit c'est vraiment très bon, très réconfortant, tout à fait adapté aux frimas que nous traversons actuellement en France, ou plutôt qui nous transpercent...
Sur-ce je vous laisse, j'ai des posters à accrocher dans ma chambre.
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