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Cuisine de la mer
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2 mars 2011

Tapas de seigle aux bigorneaux et à l'andouille

En toute sincérité, les sportifs éveillent de plus en plus ma méfiance, et la compétition m'attire autant qu'un bigorneau échoué sur un terrain de foot. A propos de ce coquillage, savez-vous qu'il existe un très officiel Championnat du Monde de Cracher de Bigorneau? Il est organisé non loin de Roscoff, au port de Moguériec en Sibiril. Je me suis renseigné sur cette discipline, n'imaginant pas bien le déroulé des épreuves. 

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Naïvement, je pensais que l'athlète commençait par manger l'animal cuit à l'intérieur de la coquille, puis se la plaçait dans la bouche (ou dans une variante postérieure) pour ensuite la propulser le plus loin possible. Là j'aurais toléré, admis même, possédant au demeurant un long et intensif entrainement de cracheur de noyaux de cerises ou d'olives (jamais les deux à la fois), où certes je n'affronte que des plus petits que moi (des enfants toujours, beaucoup d'adultes font la "fine bouche" face à ce geste pourtant auguste du semeur), mais où j'en profite pour me sustenter ludiquement. 

Non, ce sont des bigorneaux vivants qui sont ainsi utilisés comme projectiles buccaux, propulsés sur une piste homologuée de 20 mètres de long sur 3 de large (source Wikipedia, ça ne rigole pas). Le record est un lancer à 10,41 mètres, obtenu en 2006 par un type photographié en pleine concentration, ne me demandez pas de reproduire l'image, ce blog n'est pas un éloge du jeu avec la nourriture, mais si vraiment elle vous tente, allez voir ici

Les organisateurs se veulent toutefois rassurants, l'animal ne souffre pas, précisent-ils, et après l'épreuve, il est gentiment ramené sur l'estran, où il poursuit son agreste existence de gastéropode, partagé entre le soulagement de n'avoir pas été boulotté et l'étonnement d'avoir rencontré des créatures encore plus stupides qu'un bulot. 

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Me renseignant un peu plus pour l'écriture de ce billet, j'ai appris qu'effectivement, le bigorneau est un vrai dur à cuire. Sachez que lorsqu'il est avalé par une mouette (se plaçant elle aussi en challenger du bulot), il ferme si hermétiquement son opercule (sa petite porte, comme nous disions enfants) qu'il peut survivre à l'ingestion, au séjour dans l'estomac, au transit et à l'éjection dans une giclée de guano.

Bon évidemment, les chances de survie dépendent largement de l'endroit où l'oiseau choisi de se soulager… Si la mouette passe par Moguériec, le bigorneau sera soigneusement nettoyé en bouche et pieusement replacé dans son habitat naturel, par contre si c'est sur un terrain de foot, je ne donne pas cher de sa coquille (même si son QI et son crâne rasé peuvent le faire passer pour le  supporter du PSG qui a pissé sa bière sous mes fenêtres dimanche dernier).

Bref, pour moi qui manifeste un réel attachement poétique au bigorneau, lequel me suggère tout au plus quelques plaisanteries polissonnes -mais de là à le sucer... (quoique tout malacologue compétent vous dirait que le bigorneau est muni en proportion de sa taille, du plus gros pénis du monde animal, son bigorneau farceur comme l'écrivait le regretté San-Antonio)-, telle ne fut pas ma déception de le voir ainsi changé en homme-canon par des bulocéphales folkloriques. Enfin, comme le disait ma grand-mère, pendant qu'ils font ça, ils ne sont pas au bistrot.

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Si vous retournez deux fois votre écran,  
vous verrez les bigorneaux tomber sur le phare 

Je ne sais pas si vous avez déjà pêché le bigorneau. Je ne parle pas de ces magnifiques littorines colorées échouées en haut des plages, dont on fait de ravissants colliers quand on sait les percer sans les briser. Non, le vrai bigorneau noir, qu'on ne peut traquer qu'à marée basse. Une pêche facile, abondante même si on connait les bons coins, l'animal court à peine plus vite qu'une patelle, autre bête à corne. 

Évidemment, nous sommes moins pourvus que lorsque dans mon adolescence de prolétaire de la mer (pendant les vacances), nous semions des bébés bigorneaux autour des bassins d'affinage des huîtres, pour qu'ils broutent les algues qui se déposent sur les précieux bivalves. Une fois les bigorneaux devenus grands, ils étaient vendus après une vie de labeur; nous autres glaneurs de fin de marée, nous ramassions pour notre compte ceux qui s'échappaient de ces bassins et colonisaient les alentours.

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Pêcher le bigorneau est une chose, traquer l'andouille de campagne en est une autre. Comme le prétend un copain, il faut se coucher avec les poules et se lever avec les ploucs, et se mettre en chasse dans le bocage, ou du moins ce qu'il en reste, entre le remembrement excessif et la promotion immobilière galopante en zone littorale. 

Normalement, j'ai un don pour cela. Au cours de ses quelques débordements d'affection, ma mère me traitait parfois de "grand dépendeur d'andouilles", ce qui me plongeait dans un bain de perplexité aussi profond que la fosse des Kouriles, jusqu'à ce que je découvre que ce pléonasme signifiait. En effet dans les familles, c'est au plus grand en taille qu'est dévolue la tâche d'accrocher les andouilles sur des barres placées scellées assez haut dans les conduits de cheminée, pour les fumer, et bien entendu de les en dépendre. Bref, le dépendeur d'andouilles se reconnait à sa taille, à son fumet, à la suie sur son visage et surtout à sa capacité de détecter le bon degré de fumage des andouilles et autres charcuteries.

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Crédit photo

Il y avait une institution séculaire dans mon Nord-Finistère, la charcuterie Jo-Jan à Lesneven, où l'andouille était réputée la meilleure du coin et de ses environs lointains. Elle a été vendue (ça va faire 10 ou 12 ans mai'nant, 'pas Marthe?), mais sans le savoir-faire, et du coup l'affaire a fermé. J'ai trouvé alors un gars sur le marché de Plouguerneau (pardon pour ce localisme, mais j'ai quand même deux lecteurs par là-bas), qui lui aussi a disparu. 

Un boucher extraordinaire pas loin de la maison avait réussi à en dénicher de très comestibles, mais lui aussi a vendu son affaire et ce n'est plus pareil. Bref, voici trois semaines, en naufragé de l'andouille que j'étais devenu, alors que je prenais un verre entre pêcheur, libraire, goémonier, chef étoilé et je ne sais plus qui que je ne distinguais pas dans la fumée épaisse de nos clopes, ils m'ont tous demandé pourquoi je n'allais pas à Bourg Blanc. 

Nul n'étant prophète en son pays, j'y suis allé, j'ai goûté et je me suis converti. J'ai découvert par la même occasion qu'un des meilleurs chefs de la région (Patrick Jeffroy de Carantec, deux étoiles), se fournissait chez ce charcutier, surement le dernier de la région à fabriquer l'intégralité de ce qu'il vend. Il en parle dans son récent livre "Faim de Mer en Fin de Terre" (oui, on a tous le jeu de mots facile en Finistère), l'un des plus beaux et efficaces livres de cuisine que j'aie vu depuis longtemps sur le thème marin et la cuisine des produits de la région. 

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Photo : Le Télégramme

La charcuterie est facile à trouver il n'y en a qu'une à Bourg-Blanc, ville située à 5 km de Lannilis et bien desservie par l'aéroport de Brest-Guipavas pour ceux qui voudraient y venir spécialement. Olivier et Christine Helibert - 1 rue Saint-Yves - 29860 - Bourg-Blanc. 

Après l'avoir dégustée nature, j'ai eu envie de l'associer aux bigorneaux. 

Tapas de seigle aux bigorneaux et à l'andouille

Ingrédients

- un kilo de bigorneaux
- un morceau d'andouille de campagne bretonne
- un pain de seigle
- beurre salé
- gros sel de mer
- un brin de fenouil sauvage
- grains de poivre voatsyperifery

Je sais, je vous colle de ce merveilleux poivre sauvage de Madagascar un peu partout, mais il est particulièrement savoureux et adapté aux fruits de mer. Auparavant, j'utilisais du poivre long, très bien adapté aussi, si vous n'avez ni l'un ni l'autre, utilisez tout autre bon poivre noir en grains.

Recette

Commencez par faire cuire les bigorneaux. Dans une casserole, mettez deux poignées de gros sel pour un litre d'eau, ajoutez le poivre (deux cuillers à café rases environ) et le brin de fenouil. Lorsqu'elle est à ébullition jetez y les bigorneaux, et laissez cuire à frémissement 6 minutes. Au bout de ce temps, sortez un bigorneau et vérifiez avec une épingle si l'animal s'extrait facilement de sa coquille. Sinon, laissez encore cuire un peu, cela peut aller jusqu'à 8 minutes pour les plus gros, mais je ne vous les conseille pas, leur saveur et leur consistance ne sont pas aussi fines.

Il est inutile généralement de laver les bigorneaux avant de les cuire, au pire, vous écumerez un peu. Armez vous de patience, et décoquillez les, c'est plus facile lorsqu'ils sont tout juste cuits.

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Débitez l'andouille en belles rondelles, ôtez la peau puis coupez la en petits dés. Il vous en faut environ le tiers de la quantité de bigorneau décoquillés.

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Coupez ensuite des tranches de pain de seigle un peu fines, toastez légèrement et beurrez plus lourdement. Garnissez les du mélange de bigorneaux et d'andouilles, puis servez après avoir mis un peu de déco, bien que cette association de bruns, de gris et de noir soit belle, elle est un peu austère.

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C'était franchement délicieux, il est vrai que je préfère les bigorneaux mangés natures en les décoquillant au fur et à mesure, mais nous nous sommes franchement régalés.

Bon, "tapas" ça n'est pas très breton comme nom, mais le concept reste valable, je suis très amateur de ces apéro-repas où on mange en série de petites quantités de produits de qualité, et ceux de Bretagne s'y prêtent parfaitement. Le mot signifie "couvercle", en référence au fait qu'il n'était à l'origine qu'une tranche de pain garnie, posée sur un verre rempli. Pas de couvercle, mais les verres étaient bien là, avec du Sauvignon de Touraine franc de pied de chez Marionnet dedans.

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Commentaires
M
comment on perçe les coquillages j'ai pas trouvé la solution dans otn texte<br /> je voudrais perçer des coquilles st-Jacques pour les mettre à ma maison pour engager les promeneurs à venir se rafraichir ou se reposer s'ils en ont besoin...<br /> en tout cas beau texte, j'adore
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G
Pas lu de truc aussi degueu depuis le concours de gobage de Flamby. Pas ta recette bien sur, je suis completement fan de l'andouille sauvage, mais le cracher de bigorneaux - pauvres betes.
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P
Patrick, tu nous a accompagné hier avec cette recette pour notre soirée apéro-tapas-DVD! L'andouille était de ... Vire, on ne se refait pas! J'avoue que j'avais un peu peur de l'association, mais ça nous a bluffé! <br /> P.S.: j'aime bien l'andouille de Mr Jourdain aussi!
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M
Merci pour cette nouvelle idée, je suis complètement accro à l'andouille, il y en a toujours chez moi : une andouille sudiste, celle de Baye bien sûr, à deux pas de Bannalec. je trouve que l'association avec les produits de la mer est un régal.<br /> Très bon dimanche !
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E
Entre la goule des sportifs et le tube des mouettes, l'existence de ce pauvre animal ressemble décidément à un fim gore. Ou a un roman de Duras.
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