Friture de prêtres et mayo inferno
L’athérine n’est pas la femelle de l’athée, pas plus qu’elle n’est une préparation à base de viande hachée cuite dans un récipient en terre. Tout au contraire, c’est le nom d’une famille de poissons, à laquelle appartient l’atherina presbyter, ou prêtre, ou petit prêtre (belek bihan en breton), parfois et à tort capelan
Si parmi vos amis il se trouve un dénommé Bellec, un nom de famille assez fréquent en Bretagne, vous pouvez en déduire qu’il a eu un ancêtre dans le clergé séculier, ou du moins qui était assez confit en dévotion pour mériter ce surnom. Quant à bihan, cela signifie « petit », le Morbihan désigne ainsi une petite mer, et c’est vrai que ça ne mène pas loin tout ça.
Voici donc une excellente façon de bouffer du curé sans se faire sonner les cloches, et même de pasteuriser du prêtre, ce qui constitue une habile conversion.
On a coutume de comparer le prêtre et l’éperlan, jusqu’à même le nommer également « faux éperlan ». Il n’y a pourtant pas de confusion possible, l’éperlan tire son nom de la Congrégation des Pères Lents, ainsi appelés parce qu'ils finissaient toujours les derniers aux concours de chapelet ; elle est aujourd’hui dissoute en raison de ses mœurs tout aussi dissolues, car dans leurs séminaires, il était moins question de pêcher en mer, que de pêché de chair.
C’est une autre athérine qui s'apparente le plus au prêtre, et on l’appelle joël (atherina boyeri), on la rencontre plus au large du Portugal et de la Mauritanie, voire dans les mers noires et caspiennes. Je n’ai jamais goûté à ce Père Joël.
Certains prétendent que la chair de l’éperlan est plus fine que celle du prêtre, c’est une opinion que je ne partage pas. Je considère même que celle du prêtre est meilleure, mais comme beaucoup de poissons à la chair fragile, il faut les consommer excessivement frais. Pour cette raison, il est rare d’en trouver en vente loin des lieux de pêche, à l’instar de quelques autres comme le tacaud ou le lançon. Le goût du prêtre est plus puissant que celui de l'éperlan, ce qui lui permet de mieux résister à l'épreuve de la friture.
C’est un poisson des côtes atlantiques, très présent sur le littoral breton, il est rare de le trouver en Méditerranée, à l’exception du Vatican où se trouve un important lieu de reproduction. Selon nombre d’historiens, le nid se trouverait là-bas, tandis que d’autres le situent en Egypte. Il faut toutefois noter que les premiers chrétiens de Rome ont choisi le poisson comme symbole, et non pas un morceau de pain, alors qu’il était écrit que le Christ avait multiplié l’un comme l’autre.
L’idéal est de le pêcher soi-même, et là trois méthodes s’offrent à vous, de la moins productive à la plus productive.
Lorsque vous pêchez les crevettes au haveneau, il n’est pas rare d’en capturer quelques-uns à titre de prises accessoires, de la même façon que vous attraperiez des tortues ou des dauphins dans votre filet dérivant. C’est lors d’une de ces pêches que j’ai découvert ce poisson lorsque j’étais gamin, ce qui m’a valu une réflexion peu amène du curé qui infligeait le catéchisme, à nous pauvres âmes en perditions de l’école de diable. Il m’a demandé pourquoi je le regardais en souriant bêtement. J’avais hélas un peu moins de vocabulaire à l’époque, aujourd'hui je lui aurais répondu « Parce que j’ai pécho ton cousin, mon frère ! »
La seconde méthode consiste à utiliser une ligne munie de plusieurs hameçons, du type « mitraillette à maquereau », mais il faut tomber sur un banc, certains sont constitués de plusieurs milliers d’individus, mais ils sont difficiles à localiser et surtout très instables. C’est en effet un poisson craintif car il sert de nourriture à une grande quantité d’autres, il n’est d’ailleurs pas rare d’en trouver dans leurs entrailles lorsqu’on les vide. Il est nettement plus rentable de s’attaquer directement à un vol de maquereaux, mais je connais quelques patients qui s'adonnent à cette pêche, avec des hameçons minuscules.
La balance est la meilleure solution, du moins pour un pêcheur amateur n’utilisant ni filet ni chalut. Il s’agit de petits filets ronds ou carrés se présentant comme des paniers suspendus, et que l’on bouette avec un mélange de sable et de farine, le sable étant là pour agglomérer la farine en boulettes. On la fait descendre doucement jusqu’au fond (c’est une pêche pratiquée généralement du bord, au-dessus de fonds sableux), on attend une dizaine de minutes, le temps que les clients arrivent, et on remonte, lentement au début pour ne pas les effrayer, puis vivement ensuite. On utilise également cet engin pour de nombreux crustacés, y compris pour l’écrevisse en eau douce.
La pêche au chalut est une mauvaise idée, car ce poisson fragile s’y trouve très rapidement écrasé, mais en général on s’en fiche, il est capturé en tant que poisson-fourrage qui va être transformé en farines et granulés pour nourrir les poissons d’élevage, ce qui m’énerve.
Certains ports se sont spécialisés dans le prêtre, comme d’autres le sont dans l’anchois ou la sardine ; on cite souvent Camaret qui en est la Mecque au même titre que Rome, mais il ne faut pas oublier une activité soutenue à Pont-L’Abbé ou à Cucugnan.
C’est toutefois au nord du Finistère, dans le Léon, que la pêche et la consommation sont le plus soutenues, ce qui a valu à cette région l’appellation de « Léon, terre des prêtres », et où un véritable culte est rendu à ce modeste poisson qui se multiplie à une vitesse miraculeuse, sensiblement égale à celle d’un messie en pleine croissance. Les indigènes organisent fréquemment des processions où sont mis à l’honneur les prêtres, mais aussi des saints tels que Pierre, Jacques et Véran.
Tout comme le prêtre est ordonné, charité bien ordonnée commence par soi-même, nous allons continuer cette discussion en cuisine, pour une recette qui n’en n’est pas vraiment une, mais qui constitue un bon prétexte pour découvrir ce charmant petit poisson, et se régaler.
Friture de prêtres et mayo inferno
Ingrédients
- prêtres
- farine
- huile à friture
- sel
- mayonnaise (jaune d'œuf, moutarde, huile)
- sauce sriracha
- citron vert
Je ne sais pas d'où provient cette habitude de servir de la friture avec de la mayonnaise ou d'autres sauces à base d'huile telles que la tartare ou la gribiche, mais c'est ainsi. Entre nous, un filet de citron me suffit, il réveille la saveur et vient corriger en bouche l'impression de gras. Cela-dit, si votre friture est bien menée, elle ne sera pas si grasse que ça. Néanmoins, je me suis dit que c'était l'occasion de parler d'un mélange que j'aime bien, et que je propose par exemple avec une pierrade, de viande ou de fruits de mer. Evidemment, je n'ai pas pu m'empêcher d'évoquer les enfers pour ces prêtres.
Concernant les quantités, il faut compter 200g de petits poissons par personne pour une entrée, et 300g pour un plat, et c'est bien assez copieux.
Recette
Préparez la sauce : confectionnez la mayonnaise en vous aidant d'un peu de moutarde. Une fois qu'elle est bien prise, ajoutez de la sauce sriracha, selon votre appétence pour les saveurs pimentées. Réservez au frais, au dernier moment, vous y ajouterez du jus de citron vert.
Lavez et épongez soigneusement les poissons. Faites chauffer de l'huile dans votre friteuse ou tout autre récipient, j'emploie une sauteuse (ou sautoir), dans lequel je mets la hauteur suffisante pour frire la quantité que j'ai à cuire, on utilise ainsi moins d'huile (ce type de bain pour petits poissons ne peut servir que deux ou trois fois, et encore, en filtrant l'huile entre chaque utilisation).
Je n'ai aucune idée de la température adéquate, même si j'ai affiné ma technologie. Auparavant, je jaugeais en plaçant la paume de la main au-dessus de l'huile chaude, mais depuis que je fréquente les cuisines asiatiques, j'ai adopté leur méthode. Je teste en trempant la pointe d'une baguette (en bois) jusqu'à ce qu'elle touche le fond du récipient, dès que les premières petites bulles se forment, c'est bon.
Lorsque l'huile est à bonne température, mettre deux ou trois cuillerées à soupe de farine dans un sac, ajoutez les poissons et agitez pour qu'ils soient tous bien farinés. Cette opération est à effectuer au tout dernier moment, sinon la farine va constituer une pâte gluante et vous raterez votre plat.
Placez les poissons dans le bain de friture, en prenant soin de secouer l'excès de farine ; procédez par petites quantités, pour ne pas refroidir l'huile, voire créer un choc thermique amenant à un débordement de l'huile, surtout si vous travaillez avec un récipient aux rebords assez bas, comme la sauteuse.
L'huile doit rester en ébullition durant toute la cuisson, mais surtout sans fumer. Ne remuez pas sous peine d'écrabouiller ces petits délicats, mais en début de cuisson, secouez très légèrement le récipient deux ou trois fois, pour éviter que les poissons ne se collent entre eux.
Soyez patients, le temps de friture est étonnamment long pour d'aussi petites choses, il ne faut pas arrêter avant qu'ils soient bien dorées, et donc bien croustillants. Rien n'est plus déprimant qu'une friture blanche et molle. Egouttez l'excès d'huile sur du papier absorbant, transférez dans le plat de service et salez.
Voilà un poisson pour lequel le taux de perte (tête, arête, parures) est nul, puisque tout se croque de la tête à la queue : on les prend avec les doigts en se brûlant le minimum requis, et on les trempe (ou non) dans la sauce à base de mayonnaise. Bien entendu, on aère bien la maison, car l'odeur de ces fritures est très tenace. Dans le prochain billet, je vous parlerai du ceviche tourneur.
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