Salade au haddock mariné
Ecrire sur le haddock est une sournoise invitation à céder à la facilité, mais bien qu’amateur de cornemuse, je ne vais pas vous entretenir du célèbre capitaine éponyme. Non, mon propos est sérieux, et nettement plus conforme à la vocation culinaire de ce blog, il n'y a pas que le whisky et la pipe dans la vie.
Combien réalisent des recettes où interviennent des marinades de toutes sortes, sans même savoir l'origine de cette pratique, laquelle comme souvent, se perd dans la nuit des temps et s'égare encore plus facilement?
La marinade à travers les âges
- L'origine marine de la marinade n'échappe pas à l'œil averti de l'étymologiste (même de mauvaise foi, j'en entends d'ici froncer le sourcil). Dès la préhistoire, bien avant que l'homme n'apprit à extraire le sel de la terre ou des marais salants, l'habitude fut prise de préserver la chair de bidochosaure dans des auges emplies d'eau de mer, dites "marinoires". Bien plus tard dans les archaïques régions non côtières, on remplaça l'eau de mer par différents liquides plus ou moins fermentés et alambiqués, auxquels on ajouta des aromates aux vertus antiseptiques reconnues.
- Au Moyen âge, on mettait les animaux entiers à mariner. Tant qu'il ne s'agissait que de volatiles ou de petits gibiers, les terres cuites des souillardes y suffisaient. Mais lorsque le hobereau se piquait de forcer un cerf ou de manger un bœuf , il fallait prévoir plus grand. C'est ainsi que fut inventée la baignoire, dont le nom resta à l'époque marinoire, personne n'ayant l'idée saugrenue de se baigner dans un ustensile de cuisine (en dépit d'un précédent fâcheux, celui d'une égyptienne macérant dans une marinoire de lait d'ânesse, mais c'était une originale).
- Lors du siège de Dijon en 1652, le Duc de Bourgogne eut l'ultime générosité de partager la dernière pièce de viande qui lui restait entre tous ses preux. Il en découpa de petits cubes qu'il mit à mariner dans l'huile bouillante destinée aux assiégeants. Ce fut la découverte martiale de la fondue bourguignonne, Marengo incubait déjà son veau.
- Le terme "marinoire" fut abandonné à la période révolutionnaire, suite à l'assassinat en 1793 de Marat dans sa marinoire, allitération qui pouvait prêter à rire, et cette époque manquait d'humour; on opta alors définitivement pour "baignoire" (je trouve par ailleurs que les raisons de rester digne n'ont pas disparu, qui songerait aujourd'hui à rire de "la marinoire de l'Erika", en me regardant bien en face? Tandis que "la baignoire de l'Erika" ne dérange personne).
- Denis Papin voulu moderniser le procédé, pensant qu'une marinade sous pression diminuerait le temps de macération, de même que la cuisson en autoclave est plus brève. Il fut ainsi à l'origine de la marinade-vapeur, qui supplanta rapidement la marinade-voile.
- Aujourd'hui, les ménagères sont pressées, achètent des plats cuisinés, et n'ont guère de temps à consacrer aux marinades. Leurs malheureux époux en sont donc réduits à mettre des glaçons à mariner dans le whisky ou le pastis, évoquant avec nostalgie le temps glorieux des marinades, lorsque la France était reine des mers et des cambuses réunies.
A part çà, tout baigne. Pour en savoir beaucoup plus, je vous invite à vous procurer cet ouvrage, une véritable machine à rêver pour qui aime la mer et les mots, l'un de mes livres favoris du moment et pour longtemps:
Paru en janvier 2007 aux Editions du Chasse-marée,
"Dictionnaire des mots nés de la mer" par Pol Corvez,
ISBN : 2-35357-007-0
Site Internet
Il est bien entendu question de marinade et de mariner dans ce formidable dico, et du premier à avoir couché le sujet sur papier, à savoir Rabelais ("mariner" en 1552), pour lequel mon admiration déjà criante a crû d'un cran.
Eglefin et haddock
Encore un mot que les anglais nous ont piqué : le nom d'origine du haddock, c'est l'églefin, autrefois plus connu sous le nom de "hadot", très apprécié lors des repas maigres du Moyen âge; la transcription anglaise a donné "haddock".
L'églefin (melanogrammus aeglefinus) est de la famille des gadidés, la même que celle des cabillauds et autres lieus (que la mer ne découvre pas à marée basse). Comme pour toute cette famille, la ressource diminue, elle est même en forte régression en Atlantique du nord-ouest, où il a subi le même sort que le cabillaud et ne parvient pas plus à se rétablir que lui, en dépit des limitations de pêche.
Morphologiquement, il ressemble au cabillaud, sinon qu'il n'ambitionne pas d'atteindre sa taille, ne dépassant que rarement les 70 cm, et ne vivant pas au delà d'une vingtaine d'années. Ce poisson reste gringalet, car il a une petite bouche, à l'impossible nul n'est tenu : il mange pourtant presque sans discontinuer, tout au fond de la mer où il avale de petites proies, mollusques, vers, ophiures, frai de clupéidés et de capelans, alevins...
Il se distingue du cabillaud par une ligne latérale noire, et par une tâche noire au-dessus des nageoires pectorales. Cette tâche fait qu'il est appelé saint-pierre dans l'extrême nord de la France, ce qui oblige les locaux à nommer "jean doré" celui que tout le monde appelle saint pierre. Restons serein, cette marque noire, dite "marque de saint-pierre" est parfois aussi appelée "pouce du diable"... L’églefin se trouve parfois sous l’orthographe d’aiglefin voire égrefin, ou sous le nom d’anon, voire de bourricot à Granville (rien à voir avec le mulet).
On ne le trouve pas très souvent à l’état frais sur les étals en France, mais on en mange quand même pas mal, le poisson carré couvert de sciure comme le disait Coluche, c’est très souvent lui. Sa saveur est fine, légèrement sucrée ce qui plait aux enfants, et c'est aussi un poisson dont la chair blanchit beaucoup à la cuisson, il flatte l'oeil. Quelle ignominie de l'encroûter ainsi dans ces panures de bas de gamme, véritables éponges grasses. Il est également très utilisé pour les fish & chips des britanniques.
Lorsqu'il est fumé, il prend le nom de haddock : L'églefin est étêté, ouvert et vidé par le dos, légèrement salé, puis fumé longuement à basse température. S'il est orangé, ce n'est pas parce que c'est l'ancêtre de l'affreux surimi, mais parce qu'il est trempé dans un bain coloré au rocou.
Le rocou est une teinture issue du fruit du rocouyer (la nature est bien faite, je trouve...). Encore un petit bijou de technocratie ce colorant (poétiquement répertorié E160b) : En France, il est interdit dans les yaourts mais pas dans les margarines... Par ailleurs, il est couramment utilisé pour les fromages, pour n'en citer que quelques uns, le livarot, le langres, le cheddar, la mimolette... Pour en savoir plus, je vous invite à vous référer à l'article de Minouchka, sur "Passion Culinaire...", il est très complet et savoureux!
Les écossais raffolent du haddock, y compris au breakfast, le plus fameux selon moi étant le "Finnan haddie" spécialité du village de Findon, près d'Aberdeen : un haddock fumé doucement à la tourbe, parfois mêlée d’algues. Selon une légende indigène, c’est là que serait né le haddock, après un incendie à la suite duquel on découvrit qu’il était encore meilleur fumé... Il existe aussi un haddock fumé à chaud, spécialité d'Arbroath sur la côte est, le "Arbroath smokie", qui peut donc être mangé sans autre cuisson. Vous le verrez dans la recette ci-dessous, je ne trouve pas que la cuisson soit toujours nécessaire.
S'il s'agit de le cuire, la meilleure façon est de le pocher dans un mélange d'eau et de lait. Pour le dessaler et l'assouplir si vous y tenez, faites-le tremper une nuit dans un peu de lait. C'est un incontournable de la choucroute de la mer, mais je préfère le déguster en compagnon fumé de la morue à l'aïoli. On rencontre également nombre de recettes où il est quasiment employé comme un "lardon de la mer". On en abuse parfois, mais j'avoue que coupé en dés dans une omelette avec des herbes adaptées, il est vraiment très bon...
Lorsque vous l'achetez emballé, regardez bien l'étiquette, il doit y être écrit "Haddock véritable", car bien entendu, il y a des imitations à base de poissons moins savoureux, comme la lingue franche ou le brosme par exemple. La meilleure des certitudes étant de constater sur la peau la présence de la fameuse marque noire, de saint Pierre ou du diable. Sur ma photo, elle est un peu estompée, mais on la distingue quand même bien.
Salade au haddock mariné
Ingrédients
- un filet de haddock
- une salade chicorée frisée
- deux petites pommes reinette
- un citron
- huile de saveur neutre
- vinaigre de cidre
- graines de coriandre
- baies roses
- poivre blanc
Recette
Lavez le filet de haddock. Escalopez-le avec si possible un couteau à saumon, mais un autre couteau fait l'affaire car on ne cherche pas à obtenir de très larges tranches. Lorsque vous émincez ainsi un poisson, faites le toujours le tranchant de la lame tourné vers la queue, car dans l'autre sens on fait du tartare et non du carpaccio...
Placez les tranches de haddock à mariner environ deux heures avec le jus d'un citron, un trait d'huile, les graines de coriandre, les baies roses et quelques généreux tours de moulin à poivre blanc.
Pendant ce temps, lavez la salade (ne laissez pas tremper la chicorée frisée, elle prend de l'amertume, comme les endives), épluchez et coupez les pommes en dés (juste avant de servir, afin qu'elle ne s'oxydent pas à l'air). Préparez une vinaigrette, avec de l'huile neutre et un vinaigre un peu doux ou fruité, qui va s'assembler à la saveur citronnée du poisson mariné. Le vinaigre de cidre est une bonne idée, mais il y en a bien d'autres! Une fois les deux heures de marinade passées, égouttez le haddock, mélangez allègrement le tout et servez. Voyez comme le seul effet de la marinade a fait blanchir la chair...
On peut bien entendu une fois de plus servir un joli sauvignon sur cette recette, voire un riesling un peu nerveux. On peut également penser à une bière blanche, si on est au régime... ce que vous allez finir par croire, trois salades sur les quatre derniers billets, j'ai des potes qui commencent à s'inquiéter de la déliquescence de mes appétits...
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