Encornet grillé, condiment méditerranéen
Je suis très énervé.
Thalassa folklorique
Ce sont d'abord FR3 et l'émission Thalassa qui sont l'objet de mon ressentiment. Vendredi 9 au matin, alors que je mettais la dernière main au billet par lequel j'annonçais les reportages et le direct depuis les abers, j'appelais mon pote Jean-Luc L'Hourre, pour savoir à quel moment il pensait y figurer, si c'était bien après les cages à ormeaux de Sylvain Huchette, ces bestioles travaillées dans la cuisine.
Il m'annonce que la production a décidé de ne pas le diffuser, préférant donner plus de place aux images aériennes (et surtout à l'autopromotion de la nouvelle formule de l'émission, bien lourde...). J'en étais d'autant plus contrit qu'on lui avait déjà fait le coup, avec une équipe de M6 qui ne s'était carrément pas présenté, décommandant deux heures avant, alors qu'il avait acheté tous les ingrédients et effectué les mises en place pour les recevoir.
Certes, les images des abers étaient particulièrement belles bien rendues, mais quid des hommes et des talents qui font vivre le pays, des producteurs ou artisans renommés qui ont un mal fou à se faire reconnaître, peu de critiques s'aventurant jusqu'au bout du bout, c'est tellement plus commode d'aller à Cancale chez Roellinger (que j'adore, ce n'est pas la question). Je dois toutefois reconnaître que les passages concernant le Père Jaouen et son Association du Jeudi-Dimanche étaient parfaits.
La télévision a plus à gagner dans la télé réalité avec des chefs sur-médiatisés comme Lignac et Marx (et des candidats prétendant changer leur vie avec la cuisine, alors que visiblement, la plupart ne sait pas tenir un couteau), plutôt qu'à s'intéresser à un MOF perdu dans les abers, se bagarrant tous les jours pour que survive son entreprise familiale, après tout son étoile au Michelin doit suffire à sa notoriété.
Un récent article du monde, au style un peu ampoulé mais que je partage largement sur le fond, analyse bien comment ont évolué les émissions de cuisine
Il m'est arrivé une aventure comparable avec l'émission Littoral de FR3, qui me faisait l'honneur de me proposer un sujet de 13 minutes (c'est énorme à la télé) autour de ma petite personne, avec de la pêche à pieds et de la cuisine. Dans l'attente du tournage, soit une année entre le premier contact et la date finalement arrêtée, nous nous étions mis d'accord sur une pour que j'associe non seulement Jean-Luc en cuisine (lui sur les ormeaux, moi sur les patelles), mais aussi que soit donné un petit coup de projecteur à quelques producteurs que j'aime beaucoup. Un peu le style des émissions de Petitrenaud, pour faire court.
Puis à quinze jours du tournage, le reporter m'écrit pour m'expliquer que plutôt qu'un cuisinier ou un boulanger qui pourraient me faire de l'ombre (sic), ce serait mieux que je déniche un "pêcheur à pieds haut en couleur pour me donner la réplique", et que je trouve un fond musical, "à moins qu'un musicien de ma connaissance ne vienne jouer un morceau des abers". Evidemment, j'ai envoyé balader avec une réponse où il était questions de voisins pittoresques trop occupés à assommer les romains et à ligoter les bardes, aucun d'entre eux ne pouvant par conséquence jouer dans le reportage.
Evidemment, cela a causé un certain émoi, j'ai été contacté par la rédaction de l'émission, ils ont très bien compris mon point de vue, et on s'entend toujours bien.
J'ai regretté que Thalassa adopte le même travers, une Bretagne folklorique, composée de paysages parfaits et de bal musette sur les quais. Certes la Bretagne, c'est aussi la biniouserie et les chants de marin (du moins l'interprétation romantique qu'on en donne aujourd'hui), mais il y en a marre de voir toujours ces mêmes clichés.
Le Télégramme anti-blogueurs
Dans le même coup de téléphone échangé vendredi matin avec Jean-Luc L'Hourre, j'apprenais aussi qu'un papier proposé par l'excellent correspondant local du Télégramme (le célèbre quotidien de Bretagne) avait été refusé par le journal. Ce papier se proposait de donner un coup de projecteur sur "deux compères gourmands des abers", à savoir Jean-Luc et moi.
Le motif, tel qui m'a été répété, est aussi catégorique qu'étonnant "Pas d'article sur des blogueurs". Tant pis... tant pis surtout pour Jean-Luc, lui a besoin de notoriété pour continuer à remplir son restaurant. Pour ma part, je gagne bien ma vie en dehors de la cuisine, la fréquentation plus ou moins forte de CdM ne change pas grand chose à part la satisfaction personnelle d'être lu quand j'écris. Les publicités que vous pouvez voir sur ces pages (et qui deviennent de plus en plus encombrantes d'ailleurs), sont là au profit de Canalblog qui héberge "gratuitement" ce blog, je n'ai pas vraiment le temps de le convertir pour l'éditer sur une plate-forme libre, genre Wordpress.
Pour en revenir au Télégramme, j'avoue que ça m'a surpris. En décembre 2006 et 2007, ils m'ont demandé de contribuer par interviews et recettes à leur page sur les fêtes de fin d'année. Il y a environ deux ans, Bretagne Magazine, un bimestriel (de qualité) appartenant au Télégramme, m'a demandé la permission de reproduire (toujours gratuitement) plusieurs de mes recettes pour illustrer la partie "Pêche à pieds" d'un numéro spécial consacré à la gastronomie bretonne.
Pas plus tard qu'en mai dernier, le même magazine me contactait pour le même motif, avec cette fois la gentillesse de me proposer une participation plus active que de seulement fournir des recettes. Il s'agissait d'un vrai reportage sur l'estran et dans ma cuisine. Cela ne s'est pas fait en raison d'incompatibilité de mes impératifs professionnels avec les dates des grandes marées, et je l'ai regretté.
Cela dit, il faut être logique, on ne peut pas d'un côté solliciter les cuisiniers amateurs pour remplir les colonnes, pour ensuite leur claquer la porte au nez. Si un jour, ils ont besoin de rien, qu'ils n'hésitent pas à me le demander... Comme disait mon pote Chef Simon il y a quelques jours, marre de ces partenariats du style "Tu me donnes ta montre et je te donne l'heure".
Les cancres de Saveurs
J'ai depuis assez longtemps diminué mes achats de magazines de cuisine, parce que depuis le temps que j'en lis, je me rends compte qu'ils reproduisent chaque année les mêmes marronniers à la même saison, et que lorsque j'ai une interrogation précise sur un produit ou une recette de cuisine, je trouve plus rapidement et complètement la réponse dans ma documentation personnelle ou sur les blogs.
L'autre jour pourtant, attendant une amie à la Gare de Lyon (et disposant d'une plage de temps plus grande que prévue, en raison du quasi-rituel retard des TGV), j'ai trainé mes guêtres au kiosque à journaux, et je me suis laissé tenter par le sommaire du magazine Saveurs de septembre qui annonçait plusieurs thématique qui m'intéressaient, dont la cuisine des céphalopodes. C'était quand même un investissement de 4,80 €.
Stupeur à la découverte de ce dossier, la partie texte ne comporte que trois cartouches de la dimension d'une étiquette pour cahier d'école, où on apprend successivement que :
- Le poulpe n'est pas un céphalopode, car il n'a que huit tentacules. Exact pour le chiffre qui fait de lui un octopode, mais ça reste quand même un céphalopode, c'est à dire "qui a les pieds attachés à la tête". Aussi que les seiches ne font pas officiellement partie de l'ordre des céphalopodes (ce n'est d'ailleurs pas un ordre, mais une classe de l'embranchement des mollusques, révisez votre wikimachin avant d'écrire), mais qu'elles lui sont apparentées. Mouarf.
- Plus curieusement dans le second micro-cartouche, on découvre avec perplexité que pêcheurs, poissonniers et cuisiniers nomment "encornets" tous les céphalopodes, et pour le cas où nous n'aurions pas assimilé les classements précédents, une parenthèse indignée est ajoutée ("en englobant la seiche et le poulpe dans un même casier").
- Enfin, dans le troisième et dernier cartouche (heureusement, ce n'était pas un six-coups), à propos du calamar et de la seiche, on lit "Quand ils deviennent "encornets", c'est à dire après avoir été pêchés..."
Tout aussi curieux, mais témoignant bien de la médiocrité de l'information culinaire aujourd'hui, qu'elle soit télévisuelle, de presse ou sur internet, l'une des trois recettes de l'article (?) est intitulée "Macaronis de calamars à la carbonara", dont une amie m'apprenait quelques jours plus tard qu'il s'agit d'un pastiche d'une recette du chef Jean-François Piège", sans bien entendu que ce dernier ne soit cité, genre "à la manière de".
Du coup, je me suis un peu intéressé à cette recette, et découvert une série de pratiques édifiantes, je pourrais en citer une bonne vingtaine, mais voici juste quelques relevés sur internet.
- La recette des "Calamars à la carbonara" apparait pour la première fois sur le site de Paris Match le 12 janvier 2010, sous une interview de Jean-François Piège par Julie Andrieu.
- Sans date, sur le site de la chaîne de TV France 5, on rencontre la même recette sous l'intitulé "Tagliatelles de calamar à la carbonara - Recette de Julie Andrieu".
- Toujours sans date, mais avec un premier commentaire de lecteur laissé le 3 septembre 2010, sur le site du magazine Elle à Table, la même recette sans que le nom de Piège soit cité, et avec une photo ne correspondant pas vraiment à la recette, l'oeuf n'y parait pas.
- Sur Terrafémina.com, le 28 septembre 2010, la recette attribuée à Jean-François Piège, avec la même photo que dans Elle à Table, mais tronquée pour enlever la mention de copyright de l'original.
Une seule conclusion pour moi, vous vous ferez les vôtres : il faudrait un peu arrêter de prendre les lecteurs pour des cons et faire travailler des journalistes compétents.
Encornet grillé, condiment méditerranéen
Puisque Thalassa a jugé possible de se passer de mon pote Jean-Luc, voici une recette que j'ai mangée chez lui au comptoir, dont j'ai reproduit les ingrédients de mémoire, il me les a annoncés sans proportion alors que je sortais d'une véritable tournante de tournées générales avec les copains du coin sur son coin de terrasse...
Ingrédients
- encornets blancs
- sel
- poivre blanc
Pour le condiment
- tomates confites
- olives vertes dénoyautées
- câpres au vinaigre
- citron confit
- filets d'anchois à l'huile
- ail
- safran
- piment d'espelette
- filaments de safran
- huile d'olive
On pêche très exactement trois variété de calamars (ou encornets, ou supions, ou chipirons...) en France, le rouge, le rayé et le blanc. Les plus courants, sont les rouges, reconnaissables justement à la membrane carminée qui les recouvre entièrement. Ils sont de moindre qualité gastronomique que les blancs, ils sont en particuliers plus coriaces. Les encornets blancs se reconnaissent au fait que la membrane est assez largement blanche, l'autre partie évoluant entre le carmin et le brun.
(Encornet rouge - Photo empruntée à ma copine Anne
de l'excellent "Station Gourmande", passez voir son article)
J'ai eu la chance de trouver des petits encornets blancs, de la taille d'un doigt. Ne me demandez pas quel doigt, disons que tout l'échantillon de la main était représenté.
Recette
Hors saison, vous utiliserez des tomates confites en conserve (à ne pas confondre avec des tomates séchées conservées dans l'huile), il est toutefois très facile et bien moins onéreux de les préparer soi-même.
Prenez des tomates de petite taille, donc vous enlevez un couvercle du côté de l'attache. Par cet orifice, ôtez le plus gros des graines. Disposez les tomates sur une plaque antiadhésive (ou une lèchefrite couverte de papier sulfurisé). Saupoudrez chaque tomate d'une belle pincée d'un mélange à parts égales de sel fin et de sucre semoule. J'y ajoute toujours quelques herbes (origan et/ou sarriette en général, mais faites comme vous le sentez et en fonction de ce qui pousse autour de vous).
Enfournez à 60°, et laissez plusieurs heures, le temps qu'elles soient à votre convenance, il ne faut pas qu'elles brunissent. Une fois refroidies, vous pouvez les utilisez tout de suite ou les garder quelque temps dans de l'huile d'olive.
Pour le condiment, la proportion est de deux tiers de tomates confites hachées mais pas en bouillie, et d'un tiers du mélange suivant, réalisé au couteau et non dans un mixer quelconque. Attention à ne pas mettre trop de citron confit...
- câpres hachées finement
- olives vertes également hachées
- très petits dés d'écorce de citron confit
- filets d'anchois également hachés au couteau, et non écrabouillés.
Transvasez le mélange dans une casserole, ajoutez une ou deux gousses d'ail hachées, selon votre goût, un peu de poudre de piment d'Espelette et quelques filaments de safran. Attention, ces épices sont là pour donner un peu de chaleur au mélange, et non pour apporter une saveur prépondérante.
Versez de l'huile d'olive jusqu'à tout juste couvrir le mélange, et faites chauffer deux minutes, sans ébullition et en mélangeant régulièrement, afin que l'ail perde de sa virulence en cuisant un peu, et que la saveur du safran se diffuse. Laisser refroidir, ce condiment se consomme à température ambiante, pensez à le sortir du frigo si vous l'avez préparé à l'avance.
Coupez les tentacules des calamars et ôtez les bec. Ouvrez les manteaux et videz-les. Lavez et séchez soigneusement. Si ce sont de petits calamars, ils sont prêt à cuire ainsi.
Pour de plus gros gaillards, le manteau est séparé en deux faces, lesquelles sont quadrillées avec un couteau, en prenant soin de ne pas les couper complètement. Ne cherchez pas à obtenir un quadrillage trop fin, ces animaux sont assez tendres pour ne pas en avoir besoin, c'est surtout pour qu'ils ne s'enroulent pas lors de la cuisson, ce qui en revanche ne pose pas de problème pour de petits sujets comme ici.
Prenez une plancha ou une poêle, que vous badigeonnez très légèrement d'huile. Mettez à chauffer, et lorsque la plancha commence à fumer sérieusement, placez les calamars, d'abord les manteaux, puis un peu plus tard, les tentacules qui cuisent plus vite et risquent de durcir si on les grille trop tôt. Servez lorsque les manteaux ont pris un peu de coloration.
Vous pouvez présenter avec des pâtes courtes, simplement arrosées d'un peu d'huile d'olive ; ici ma recette de pâtes préférée, avec ail, piment, anchois chauffés dans de l'huile d'olive, finition au persil frais. Elles allaient très bien...
Ce condiment une fois préparé se conserve longtemps au frais dans un récipient hermétique (au moins un mois), n'hésitez pas à en préparer une bonne quantité ; outre l'encornet, il peut être utilisé pour de nombreux poissons grillés, voire même dans des pâtes (par exemple, faire ouvrir les moules avec un peu de vin blanc, les décoquiller, délayer le condiment avec un peu du liquide de cuisson des moules, puis mélangez moules et sauce à des tagliatelles).
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