Moules façon thaïe
Une année sans publier une recette de moules, c'est un peu comme donner une bicyclette à un poisson (Pierre, si tu me lis...), c'est envisageable mais ça n'a pas de sens. Il était temps, la saison de mes belles moules de corde de Beg-ar-Vihl, dont je vous parle depuis des années (oui, voici plus de huit ans que je vous assène ce blog) est terminée, j'ai acheté les dernières voici environ quinze jours. Je ne veux pas dire que vous ne trouverez pas de très bonnes moules encore quelques temps, de bouchot ou d'ailleurs, mais bon, elles n'ont pas pour moi cette excellence.
Pas plus tard que l'autre soir, j'ai visité deux poissonneries parisiennes, dont l'une haut de gamme, histoire de me consoler de n'être plus breton pour quelques semaines. La première poissonnerie, la chic, proposait des belles moules de la Baie du Mont Saint Michel, de très bons produits. Seulement, ils ont adopté la sale manie de vendre du "prêt à cuire", à savoir des moules préparées, grattées, et débarrassées de leur byssus.
Vous qui suivez ce blog (ou d'autres où on ne mouline pas mal non plus), vous savez que le byssus, ce sont ces filaments qui permettent au coquillage de se fixer à son support, faute de quoi il partirait à la dérive au moindre courant de marée. Un truc tout à fait insupportable à avoir en bouche, comme le fil des haricots verts, la ficelle d'un rôti mal découpé ou non rien.
Ôter le fil d'un haricot vert, c'est cruel, mais bon, moi qui assassine du crustacé vivant à mes heures gagnées, je le fais sans frémir. Ma main ne tremble pas plus lorsqu'il s'agit, d'un geste sec et précis, d'arracher les poils d'une moule sans défense, même pas je ferme les yeux. N'empêche qu'en faisant cela, on blesse l'animal et il finit par en mourir.
A ce point que dans la poissonnerie chic, le panier de moules baillait tellement qu'on voyait leurs culottes, c'est peut-être ce qui justifiait leur prix salé. Quant à la seconde poissonnerie, elle fourguait, toujours sous l'appellation "Baie du Mont Saint-Michel", de petits trucs minables et noirâtres, couverts de balanes, ce qui augurait d'un effort de grattage largement supérieur au temps de tirage. Bref, j'ai acheté un jambonneau.
Du coup, j'ai eu du temps (plus de deux heures de cuisson avec thym, laurier et sauge), pour approfondir deux livres que j'ai reçus, qui racontent la cuisine de la mer, et dont je vais vous dire deux mots, car ils sont plus intelligents que bien d'autres consacrés à mon milieu naturel.
Le premier s'appelle FISH
Et il est bien, même s'il faut faire l'effort d'entrer dedans, en raison d'un parti-pris de mise en page et de typographie assez déroutant, et d'un papier qui donne l'impression de manipuler du buvard, un contact qui me fait frissonner de déplaisir depuis ma première heure d'école primaire.
Le livre est complet, il parle aussi bien de la pêche et de la raréfaction de la ressource (c'est intéressant, mais pas forcément pertinent à moyen-terme, car c'est un domaine qui évolue vite, en bien comme en mal) que des techniques de pêche, d'habillage des poissons, et bien sûr, des multiples façons de les cuisiner, le nombre de recettes est impressionnant, et beaucoup me plaisent, ce qui s'approche de l'exploit. Les photos sont nombreuses et de belle qualité, si on ne craint pas trop les gros plans qui ajoutent à une impression de surcharge des pages.
L'auteur, n'en est pas à son coup d'essai, il a précédemment publié sous le même format le grand frère consacré aux coquillages et crustacés, que je vous recommande également.
Philippe Emmanueli, n'est d'ailleurs pas un inconnu dans l'univers de la nourriture, il est à l'origine de la société Supersec, qui s'est d'abord forgé une réputation avec des champignons sauvages séchés de tout premier ordre, et depuis plus récemment, ce sont les algues qu'ils font également sécher. Je n'y ai pas encore goûté, il y avait trop de monde autour de leur stand au dernier SIAL, et je ne suis pas patient, mais visuellement, ce sont de très beaux produits au séchage sans défaut. Par ailleurs, presque toutes sont des algues sauvages ramassées au large chez moi, dans les abers où l'eau est si propre que ces produits sont estampillés "Bio".
AUTEUR : Philippe Emanuelli
EDITEUR : Marabout
COLLECTION : Beaux-livres
EAN : 9782501091206
CODE ARTICLE : 4138905
DATE DE PARUTION : 08/2014
Le second livre s'appelle LA CUISINE DES MARINS
Et il parle directement à mon coeur, car l'auteure s'est livrée à mon sport favori, s'intéresser à la pêche côtière, la petite pêche comme l'appelle affectueusement, s'intéressant aux personnes qui font ce métier, à leur cuisine ou à celle de leurs voisins dont c'est le métier de cuisiner, privilégiant ces produits qui ne mettent pas plusieurs jours à atteindre leurs gamelles. Le sous-titre de l'ouvrage est d'ailleurs "Voyage à bord des bateaux - Recettes de retour de pêche". Tout est dit.
Nombreux se sont essayés à cet exercice séduisant, à savoir connaître comment cuisinent les pêcheurs à partir de leurs prises, mais force m'a été de constater que dans la plupart des cas, ceux qui prennent les poissons ne sont pas forcément les mieux à même de les cuisiner, à part quelques exceptions notables, on tourne toujours autour des même recettes, de la cotriade sous toutes ses formes à la persillade omniprésente, en passant par le barbecue aux herbes locales, ou pas.
Ce n'est pas le cas ici, où si les plats les plus simples réalisés par les pêcheurs ou leurs proches (comme la simplissime et magnifique "Dorade à l'espagnole" de l'Association des femmes de marins Uhaina, des basques donc), côtoient celle de chefs dont la réputation n'est plus à faire quand à leur créativité doublée du respect des produits, je ne citerais que Alexandre Couillon, Olivier Roellinger ou Jean-Marie Beaudic, parmi d'autres talentueux.
C'est aussi et d'abord un livre sur les hommes, sur l'entente entre pêcheurs et cuisiniers, on rencontre beaucoup de duos dans cet ouvrage. Egalement, il rend bien compte de la réalité actuelle du métier de pêcheur littoral, sans nostalgie ou romantisme déplacé, mais au contraire en mettant en valeur les tendances récentes qui privilégient la qualité sur la quantité (par exemple, le pêcheur-ligneur par rapport au chalutier), ou l'émergence récente d'une distribution directe par le pêcheur de son poisson aux particuliers, ce qui garantit la fraicheur des produits et dame le pion à la grande distribution qui a causé la disparition de nombre de poissonneries traditionnelles.
Enfin, ce qui ne gâche rien, l'ensemble est très agréable à lire, Camille Labro, journaliste à M le magazine du Monde et qui édite également le blog Le Ventre Libre, fait un vrai travail de reportage, et traduit avec style et conviction ses rencontres et découvertes. Bref, ce livre est carrément indispensable.
AUTEUR : Camille Labro
EDITEUR : Gründ
COLLECTION : Gründ cuisine
EAN 9782324008771
Parution : 16/10/2014
Et bien entendu, une recette pour conclure, très attendue depuis que j'en ai mis la dernière photo sur Facebook...
Moules façon thaïe
Ingrédients
- un kilo de moules
- huile
- deux échalotes
- une noix de gingembre vert
- une noix de galanga
- un piment rouge frais
- un combava
- lait de coco (200 ml)
- une poignée de feuilles de basilic thaï
Si je ne cuisinais que pour moi, j'utiliserais des petits piments rouges dit "thaï", qui sont des petites bombes, mais tout le monde ne supporte pas leur piquant, et c'est plus l'arôme que la force du piment que l'on recherche. Utilisez le piment rouge qui vous convient, ici j'ai pris le piments rouge "long" qui se vendent dans les épiceries asiatiques, qui sont forts, mais pas violents selon mes critères.
Prenez du lait de coco "Pour la cuisine", c'est spécifié sur l'emballage, vous n'obtiendrez pas un bon résultat avec celui "Pour les desserts". J'utilise généralement la marque ci-dessous, la boîte existe en plusieurs contenances.
Recette
- Grattez les moules si nécessaire, ôter le byssus, et lavez-les sans les laisser tremper, sous peine qu'elles n'absorbent de l'eau douce et perdent de leur saveur. Si quelques-unes baillent, vérifiez si elles se referment au bout de quelques instant, elles sont vivantes et donc bonnes à consommer. Si quelques autres flottent dans l'eau de lavage, ce n'est pas forcément un drame, ce sont celles qui ont perdu leur eau en baillant, puis se sont refermées en emprisonnant de l'air. Vérifiez-les par acquis de conscience.
- Préparez la garniture aromatique. Pelez deux ou trois échalotes selon leur taille, ainsi qu'une noix de gingembre vert (frais, encore en végétation), et autant de galanga. Prélevez quatre à cinq centimètres d'un piment rouge long, du côté de la pointe, là où il y a moins de graines qui concentrent beaucoup de capsaïcine. Coupez le tout en morceaux, pas trop petits, il ne s'agit pas de les avaler par mégarde en même temps que les moules.
- Préparez aussi une poignée (une vingtaine de feuilles) de basilic thaï (ou "basilic doux", selon le judicieux commentaire de Kris qui vit en Thaïlande d'où elle nous écrit l'excellent blog Au pays des piments), que vous lavez soigneusement (les normes en matières de pesticides sont différentes en fonction des pays, et les contrôles aussi).
- Lavez et sécher un combava, dont vous prélèverez le zeste, idéalement à l'aide d'une râpe Microplane. Selon la taille du fruit, vous prélèverez tout ou partie du zeste, qui est très aromatique et pourrait "tuer" la saveur subtile du basilic thaï.
- Faites revenir dans un fond d'huile l'échalote, le gingembre et le galanga, sans faire colorer. A ce stade, vous pouvez éteindre le feu et reprendre la préparation au dernier moment. Dans la cocotte bien chaude, versez les moules, remuez et couvrez.
- Au bout de trente secondes environ, ajoutez le zeste de combava, remuez à nouveau et couvrez.
- Encore trente secondes plus tard, ajoutez deux-cent millilitres de lait de coco, remuez et couvrez.
- Lorsque le lait de coco est bouillant, ajoutez une poignée de basilic thaï, et remuez jusqu'à ce que toutes les moules soient bien ouvertes et servez. Procédez avec précaution, afin que les moules ne se détachent pas des coquilles.
Cette recette mise au point récemment, a pour l'instant fait l'unanimité. Jusqu'à présent, je ne trouvais pas dans les adaptations "occidentales" les saveurs de ce plat préparé par les thaïlandais, mais en revanche, je suis généralement déçu par la qualité et la cuisson des moules dans les restaurants asiatiques. L'une des raisons est que sont souvent utilisées des moules congelées provenant de Thaïlande (vous savez, les belles bleues et vertes), qui sont assez bonnes fraîches, mais qui supportent mal la surgélation, à mon humble avis.
Ici, vous pouvez reconnaître les superbes moules de corde de Beg-ar-Vihl, élevées sur corde à Landéda, à l'embouchure de l'aber Benoît. Je n'en ai jamais qui allient à la fois saveur et finesse, à une taille respectable. On peut aussi les manger crues, à la manière des moules d'Espagne. Bien entendu, vous pouvez aussi choisir des moules de bouchot pour cette recette.
Vous pourriez penser qu'il y a trop de piment au vu de cette dernière photo, mais en fait c'est un effet spécial que j'ai mis au point pour ajouter de la couleur à l'image.
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