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Cuisine de la mer
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6 février 2012

Curry thaï de crabe de mangrove (Poo phad pong garee)

Chapitre 1 - Où on se les caille sévère suite au naufrage de l'Improbable

La bise était si froide que nous avions renoncé à faire sauter les crêpes, qui gelaient en l'air et se brisaient en retombant dans la poêle. Le Nutella avait pris l'aspect peu engageant de l'huile de palme figée, tandis que le cidre devait être cassé à la pioche.

Seuls les brûlots de rhum réussissaient à briser la glace scellant nos lèvres gercées, mais nous nous gardions bien de sourire, afin de ne pas devenir la cible des chasseurs de lions de mer.

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Nous nous étions échoués sur cette côte au vent entre le Horn et le Passage de Magellan, la rive rocheuse de la mal nommée "Terre de Feu". Nous n’apercevions plus le navire dans cette nuit aussi froide que l’intérieur d’un frigo, sans la petite lumière si rassurante lorsqu’on s’y enferme pour échapper aux brûlures de l’été siamois, en Mer d'Andaman. Nous étions ici immergés dans l'emmerdement jusqu’au cou, et même au-delà. Le feu brûle, mais le froid est mordant.

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Rien n’avait pu être sauvé lors du désastre, tant il avait été brutal et soudain, nous avions évacué le navire à la vitesse d’un commandant de bord italien au galop. Seul le cuisinier du bord, glorieux ivrogne et bâfreur aguerri, avait eu la présence d'esprit de sauver le matériel sur lequel il s'affairait au moment du désastre (et moi de sauver mon iPhone, sinon je n'aurais jamais pu vous tweeter cette tragédie). 

Ce damné fils de moine n'avait rien trouvé de mieux que cuisiner des crêpes flambées en vue de la Terre de Feu, afin prétendait-il, de faire la nique aux naufrageurs fuégiens, les yamanas, qui allumaient des feux sur les falaises hostiles pour attirer les navires sur les brisants acérés. Enfin, du moins avait-il eu la présence d'esprit de sauver le rhum, mais nous n'avions qu'une poêle à frire pour nous défendre des attaques de ces pirates. 

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Nous nous étions débrouillés sans les terribles yamanas pour nous drosser à la côte, un empannage malheureux avait suffi, et nous avons bien senti notre dernière Chandeleur arrivée. L'homme de barre avait cru voir surgir une vague scélérate, de celles qui dans ces parages maudits vous envoient au fond aussi sûrement qu'un Krakken facétieux. Non, il ne s'agissait que d'une chute de brouillard, car en ces détroits hostiles, la brume tombe plus vite qu'une pomme sur la tête d'un anglais. 

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Nous sûmes que c'était le matin quand les rayons du soleil commencèrent à nous rissoler les yeux, où les larmes du désespoir avaient gelé et faisaient loupe. Qui n'a jamais dégivré son pare-brise personnel au rhum, par un petit matin d'hiver sur la côte orientale de la Terra del Fuego,  ne peut soupçonner la vive douleur qu'un tel gaspillage provoquait en nos âmes égarées.

Nous scrutâmes alors la mer, pour nous rendre à l'évidence que, contrairement à nos âmes, nous n'avions pas égaré notre navire, mais qu'il était perdu, à jamais englouti dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, sous l'aveugle océan à jamais enfoui !

C'est donc de la terre que nous devions attendre le salut, et je commençais déjà à rassembler les bribes de yamana apprises avant la traversée, afin d'expliquer aux indigènes que la bise était venue, et que nous subsisterions bien de quelques morceaux de phoque ou de baleine. Hélas, quand le sort est cruel, il ne mégote pas à la demi-sel. A peine avais-je tourné le regard vers la plaine que je compris que nous n'aurions pas affaire aux yamanas, peuple de marins pêcheurs avec lesquels nous pourrions partager quelques valeurs. Non, ceux qui surgirent dans la lueur des premiers rayons étaient d'inquiétants selk'nams, chasseurs de nandous et pêcheurs en eau douce.

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Ces personnes ne paraissaient pas particulièrement hostiles, plutôt curieuses de nos étranges dégaines, doutant fort à nos mises défaites que notre civilisation fut à la hauteur de la leur. C'est alors que j'eus l'idée de leur déléguer le curé du bord, le seul dont la défroque avait gardé une certaine dignité, puisque justement, il ne s'était pas défroqué de la nuit. Avec intelligence, il s'adressa à l'homme vêtu de fourrures, qui s'avéra un notable important du nom de Guéant Vert. 

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Je retournais à mes ablutions,  et tandis que je m'infligeais un bain de bouche au rhum, je repensais à la Mer d'Adaman, à la mangrove et à ces huttes de pêcheur noyées de soleil et d'épices... surtout à ces chiens de pirates birmans qui ont enlevé ma belle Marie-Jeanne, lesquels je poursuis sans relâche (volontaire) sur toutes les mers du globe, et que je chasserai au-delà s'il le faut, si je retrouve un bateau.

(A suivre...)

("Mes nuits transies en Terre-de-feu", par Victor Polémique, Flammarion, février 2012)


Epilogue - Terre et mer, d'abers en mangroves

Vous vous doutez bien que je ne vous ai pas fait venir uniquement pour vous raconter ma vie. J'ai toujours été sensible aux frontières imbriquées entre la terre et la mer, entre l'eau salée et l'eau douce, qui comme les ports abrités, évoquent aussi bien les départs que les retours. 

Les mangroves sont des lieux fragiles, des biotopes entre marais et mer où se développe et se réfugie une faune abondante. Elles protègent les côtes contre les ouragans et les tsunamis, elles nourrissent les hommes qui ont appris à la redécouvrir après l'avoir détruite et brûlée pour d'autres activités. Et puis, les crabes de mangrove et les huîtres de palétuvier sont délicieux. 

Entre terre et mer donc, je vous pose une question de confiance, voici plusieurs années qu'à deux billets près (les fars), ce blog ne traite que de cuisine de la mer, ainsi que c'est marqué dessus. On ne mange pas que du poiscaille dans les bistrots du port ou à ma table, et parfois il y a quelques belles recettes et histoires que je voudrais partager ici, en dépit de cette ligne éditoriale que je mets un soin frileux à respecter.

Bref dites-moi en commentaire ou directement par le lien "Contactez l'auteur" en haut et à gauche, si cela vous dérangerait si, de temps à autres, je posais le sac de victuailles à terre, pour vous cuisiner du nandou ou des patates, vous n'avez de toutes façons que peu de risques de tomber sur des macarons, des verrines ou pire, du poisson d'eau douce. 

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Evidemment, après un récit dont l'action se déroule en Terre de Feu, il eut été logique que je conclue par une recette de barbecue, mais vous avez vu le temps qu'il fait ? Lorsqu'il fait ainsi froid à l'extérieur (rendez-vous compte, il neige même chez mes frangins d'Algérie), j'ai tendance à me réfugier dans mon placard à épices qui embaume chaleureusement et brille de tous les soleils du monde, d'où cette recette. 
 

Curry thaï de crabe de mangrove (Poo phad pong garee)

Ingrédients

- 1 kilo de crabe de mangrove prêt à cuisiner
- 2 tiges de céleri-branche, prélevées près du coeur
- 1 oignon
- 1 belle poignée  de noix de coco râpée
- 1 boîte de lait de coco pour la cuisine
- 3 gousses d'ail pelées et dégermées
- 3 piments rouges thaïs sans leurs graines
- 2 cm de gingembre frais pelé 
- quelques feuilles de combava
- sucre de palme
- poudre de curry
- pâte de curry (facultatif)
- ciboule thaï
- sauce d'huître 
- huile de sésame
- nam pla (nuoc-mam à défaut)
- poivre noir

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Cette liste d'ingrédients semble longue et fastidieuse à réunir, mais pour un passionné de cuisine asiatique comme je le suis, il est rare que la plupart d'entre eux ne se trouvent pas déjà dans le frigo ou les placards, quelques précisions toutefois :

- Le crabe de mangrove se trouve assez facilement congelé en sachets, et prêt à être utilisé. Faites le décongeler dans une passoire, afin qu'il ne baigne pas dans l'eau. Il s'agit ici de crabe provenant de Madagascar, ce qui ne gâche rien, car dans ce pays, un véritable effort de mise en valeur durable de la mangrove a été entrepris.

- J'utilise du céleri branche à défaut de céleri chinois, pas si facile à trouver en cette saison. J'ajoute du gingembre et des feuilles de lime qui ne semblent pas faire partie de la recette originale (?) mais ce sont deux saveurs qui s'accordent vraiment bien avec les crustacés.

- C'est le coeur brisé que j'ai acheté de l'insipide noix de coco râpée au rayon pâtisserie de la supérette du coin, il vaut mieux disposer de noix de de coco fraîche, ou alors râpée et congelée, facile à trouver dans les épiceries asiatiques. 

 - Bien que parlant mieux le yamana que le thaïlandais, je suis en mesure de vous confirmer que "poo phad pong garee" signifie littéralement "crabe sauté à la poudre de curry". Avec son importante façade maritime, la Thaïlande, pays de surcroît calme et accueillant, a intégré dans ses traditions culinaires beaucoup d'influences, en particulier d'Inde, comme l'utilisation de la poudre de curry le montre.

Les curries thaïs se présentent sous la forme de pâte, et résultent de mélanges complexes de produits le plus souvent frais, comme ici la pâte de curry vert. Toutefois, je trouve généralement que les poudres du commerce manquent de saveur, et lorsque je dois en utiliser, j'ajoute un peu de pâte de curry indien, achetée également. 

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Recette

Hachez les oignons grossièrement, l'ail et le piment finement. Passez la noix de coco râpée sous le gril du four pour la torréfier un peu, attention, cela brunit très vite. Râpez un petit morceau de sucre de palme. Coupez le céleri et la ciboulette en tronçons.  Cassez les grosses parties des pinces en les tapant à l'intérieur d'un coup de cuiller à soupe (il n'y a pas de meilleur outil, oubliez marteau et casse-noix), cela permet à la sauce d'imprégner la chair et facilite la dégustation.  

Dans un wok de préférence, mettez un fond d'huile et faire revenir les morceaux de crabe jusqu'à ce qu'ils soient bien rouges.  Pendant ce temps, ajoutez l'oignon, puis l'ail et le piment sur la fin. 

Ajoutez alors le curry en poudre et en pâte, remuez et versez l'oeuf battu hors du feu. Remuez, cette opération a pour but principal d'agglomérer le curry à la carapace du crabe et d'épaissir la sauce par la suite. Ajoutez alors : le céleri, un trait de nam-pla, une cuiller à soupe de sauce d'huître, la noix de coco râpée torréfiée, le sucre de canne, les feuilles de combava, et ajouter du lait de coco à niveau, sans noyer la préparation. Laissez cuire une dizaine de minutes en mélangeant régulièrement. 

Peu avant le service, ajoutez une cuiller à café d'huile de sésame, et autant de poivre noir moulu. Présentez parsemé des tronçons de ciboulette, avec du riz blanc thaïlandais. N'utilisez pas de riz gluant, qui est plus caractéristique de la cuisine du nord du pays, sous influence laotienne. 

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Nous nous sommes régalés. Ma femme plutôt méfiante depuis l'épisode des crabes en mue qu'elle n'avait que très moyennement appréciés, a vraiment aimé. La chair de ce crabe qui peut au premier abord avoir moins de caractère que celui d'un sujet de pleine mer (du congelé en plus), est très fine, et elle est abondante. Bien entendu, oubliez curette ou autre engin pour déguster ce plat, ce n'est bon et pratique qu'avec les doigts. Tout au plus une cuiller pour attraper le riz trempé de la sauce onctueuse et parfumée. 

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Commentaires
C
Bon moi je suis pour toutes les recettes qui te chante, pas de souci là dessus. Sinon ce crabe est superbe, je n'ai jamais osé en acheter du congelé, voila qui me fait réfléchir !
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R
Il y a bien longtemps que je n'avais pas fait halte ici, erreur réparée, en plus je tombe sur une recette qui m'émoustille les papilles, la cuisine thïe, ça me parle !!!
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T
tiens oui, pourquoi jamais du poisson d'eau douce ? ou des grenouilles ?<br /> <br /> quand tu dis que ce crabe se trouev "assez facilement", qu'entends-tu par là ?
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L
Ce Victor Polémique, il aurait pas trop lu Melville ou London pour ensuite se mélanger les pinceaux avec Desproges? Bien vu le Guéant Vert hi hi hi <br /> <br /> Evidemment que le crabe malgache est plus fin et plus généreux O_O (cela dit : jamais goûté)<br /> <br /> Je suis d'accord avec la liste des ingrédients : dès que tu cuisines un peu asiatique, il y a des basiques indispensables. Après çà, on ne pourra pas nier le raffinement de cette civilisation (sic)<br /> <br /> Bon, il me reste à convaincre Monsieur LaFrancesa pas très porté sur le lait de coco, par contre si je prononce mangrove, thaï, curry, combava... là il fond. Je note le coup du coup de cuillère, à tester sur du tourteau de Cantabrique (la mangrove malgache ou les bacs de Tang Frères ou Paris Store c'est loin)<br /> <br /> PS : je serai très curieuse de voir ton art appliqué à la viande<br /> <br /> Besooooooooooooooooos
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G
Ah ah, Victor Polemique, c'est du grand CdM ca!<br /> <br /> La liste des ingredients en elle-meme est une invitation au voyage, et j'ai adore les liens vers les coutumes des indiens fuegiens. Completement depaysant.<br /> <br /> <br /> <br /> Que tu nous cuisines des poissons ou des champignons, peu importe, on sait tous qu'ici on ne mange que du bon, pas de surimi, et qu'on sortira de la lecture de tes billets un peu moins ignorants.
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