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Cuisine de la mer
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12 mai 2014

Velouté d'huître au lard fumé râpé

L'excellent Bertrand Simon a l'habitude de dire les choses telles qu'elles sont, en bon pédagogue, il donne toujours la définition précise d'une technique ou d'une préparation. Ainsi, à la page du site Chef Simon consacrée au velouté, il précise pour nos yeux ébahis : "Un velouté est un roux mouillé au bouillon de volaille ou fumet de poisson". D'où facétie facile, farce que je dégoupille pour le goupil. 

rouxmouille

Et vous trouvez ça drôle ?

Ne riez pas (ça ne le mérite pas vraiment), je vais vous ennuyer d'un peu de terminologie culinaire, parce que figurez-vous qu'en cuisine, les roux peuvent vous en faire voir de toutes les couleurs. Comme dans la vie où on trouve du cheveu blond vénitien, auburn (voire auburn-noir avec une raie), acajou ou poil de carotte, en cuisine, on trouve du roux blanc, du roux blond et du roux brun, chacun ayant ses applications précises. Le roux noir, c'est quand c'est cramé. 

Fin de l'introduction pour une fois technique, le velouté dont je vais vous raconter la vie et l'oeuvre ci-dessous est classiquement une soupe dans laquelle on ajoute de l'oeuf et de la farine pour la rendre plus onctueuse. Rien au demeurant n'empêche de la commencer comme une sauce veloutée à partir d'un roux blanc, toutes les facéties sont possibles ensuite, c'est exactement ainsi ce que je pratique. Auparavant, j'ai découvert un truc sympa qui va bien avec cette recette aux huîtres.

chaton-rouquin
Roux blanc

Un katsuobushi breton

Le katsuobushi, je vous en ai déjà parlé lorsque j'ai présenté ici cette recette au titre imprononçable sans risque de déshydratation : l'axoa d'auxide au cidre. L'auxide est une bonite rayée qu'on trouve sur nos côtes, rien à voir avec celle qui est pêchée entre autres par les japonais. Le katsuobushi est du filet de bonite fermenté et séché, jusqu'à devenir très dur. 

On a parfois l'impression que les japonais font des trucs qui ne servent à rien en cuisine, qu'ils se donnent un mal fou pour donner un peu de saveur de façon très différente, qu'ils sont dans le raffinement le plus parfait, mais tellement dans la nuance qu'il faut vraiment avoir un palais affuté et la connaissance de cette cuisine pour en apprécier la subtilité, l'éloge de la fadeur et le mystère de l'umami, le genre de propos qui pourrait me tenir éveillé durant des heures. La civilisation et le progrès culinaire ne consistent pas à servir des bulles de fraises aux épinards, flottant sur un tapis de fleurs, mais à s'enrichir des connaissances et du savoir-faire d'autres cultures. 

Il se trouve que le katsuobushi est l'une des choses les plus concentrées en saveur que je connaisse, en umami exactement, cet élément de goût que personne ne parvient à décrire de la même façon, mais que tout le monde s'accorde à trouver génial (sauf lorsqu'il est le résultat d'un ajout de glutamate à la pelleteuse). Certains tentent de le décrire précisément, mais bien entendu, nos mots occidentaux n'ont jamais l'exacte traduction, d'autres vous dirons que c'est le goût qui sublime tous les autres, et en permet la savoureuse synthèse.

En fait, je me fiche pas mal des étiquettes du goût, seuls comptent l'expérience et le plaisir. La transmission aussi, c'est ce que je tente de faire à mon modeste niveau, en faisant partager ma table, mes découvertes de restaurants, ou quelques recettes comme ici. 

Le katsuobushi est utilisé râpé en fins copeaux, de différentes façons, par exemple comme base aromatique du bouillon dashi (vous en avez potentiellement consommé, si on vous a déjà servi une soupe au miso), dans des sauces (comme la ponzu) ou alors directement saupoudré sur un bol de riz (j'adore cette façon simple de manger le riz), ou encore disposé sur cette "crêpe" japonaise, l'okonomiyaki, où les copeaux dansent littéralement sous vos yeux par l'effet de la chaleur (et c'est délicieux, vous pouvez en manger au Happa Teï, à Paris, 64 rue Saint-Anne).

Enfin, tout le monde s'accorde à dire que les aliments riches en glutamate naturel (oui) sont ceux qui présentent le plus d'umami, dès lors il est assez facile de faire des plats qui contiennent ce caractère. On intègre dans ces aliments la viande fumée et le jambon séché. Pour ma part, j'y décèle le corps et l'esprit des femmes, mais vous n'êtes pas obligé de me croire. 

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Voici déjà un an, rendant visite à la star des charcutiers bretons, mon copain Olivier Hélibert, j'aperçu entre autres merveilles une espèce de matraque à bigorneaux d'aspect préhistorique, dont j'apprenai illico que c'était du filet mignon fumé et séché. Vous connaissez mon goût pour l'inconnu, j'en embarquai un spécimen.

Arrivé à la maison, environné d'une odeur de porcherie incendiée, diablement appétissante, je m'en coupai aussitôt un quignon. J'aurais dû m'en douter, les extrémités sont très dures lorsqu'il est bien sec, le machin que tu mâchouilles dix-minutes avant de pouvoir le rendre définitivement comestible. Par contre la saveur, je ne vous dis que ça, un truc à vous déclencher l'umami blues. 

Je m'emparai aussitôt de l'une de mes armes de construction massive, à savoir la fine râpe Microplane à laquelle rien ne résiste, et tentai une expérience qui me rendit immédiatement très heureux, ça se râpe aussi facilement que du parmesan ou du chocolat. Quand je pense que je n'ai jamais réussi à être satisfait de l'une de mes poudres de lard fumé, tentées par des moyens divers et compliqués parfois, il y a effectivement de quoi se la râper pour la disperser dans l'océan... 

Enfin, voici un moment que je voulais poster une recette de velouté aux huîtres sur ce blog, pulsion que je considérais assez mollement, vu que rien de très intéressant ne distinguait ma version de celles qu'on trouve un peu partout, et je ne suis pas du genre à mettre du jus de tendance dans mes plats, juste pour les rendre publiables. Avec ce "katsuobushi breton", je tiens un vrai truc. 

Katsuobushi

Une fois l'extrémité râpée, vous avez le choix entre continuer à le sécher pour pouvoir recommencer, ou alors couper ce filet mignon en fines tranches et à le manger à l'apéro par exemple, car il est bien moelleux à coeur.

Vous pouvez aussi le cuisiner, comme ici où j'en ai poêlé des rondelles avec des ormeaux, puis ajouté un peu de gingembre frais en julienne, déglacé au vin de Shaoxing et bien relevé de poivre noir. Ce fut d'ailleurs le plat de résistance de mon réveillon du 31 décembre dernier en célibataire, après ce homard au bouillon. C'était très bon, et ça aurait également mérité un billet, mais bon, j'ai plus de recettes en réserve que de temps pour les publier, alors je fais coup-double ici pour ce produit. 

gingeormeau

La pointe de filet, morceau voisin du cochon, même fraîche, est plus dure que le filet mignon, et elle est vendue à part, parfois par les tripiers (qui n'ont pas le droit de la vendre sous l'appellation "pointe de filet mignon", réservée aux bouchers-charcutiers, alors il faut avoir l'oeil un peu exercé quand on voit du "sauté de porc" chez eux). C'est en effet un morceau qui a beaucoup de saveur, une belle texture, qui est moins sec que le filet et se prête parfaitement aux plats en sauce, je confectionne presque tous mes curries ou colombos de porc avec ce morceau.

Velouté d'huître au lard fumé râpé

Ingrédients

- bouillon de palourdes
- échalotes
- un petit poireau
- Noilly-Prat
- huîtres charnues
- farine
- beurre
- laurier
- poivre noir
- macis en poudre
- porc fumé sec
- wakamé sec

Bien que vous ratiez quelque chose d'exceptionnel, je ne peux pas vous obliger à aller jusqu'à Bourg-Blanc chez Olivier Hélibert pour acheter son merveilleux filet mignon fumé. N'importe quel morceaux de porc pas trop gras, bien fumé et assez sec pour être râpé très finement, fera l'affaire. Oubliez par exemple un morceau de charcuterie franc-comtoise quelques semaines dans un torchon, au fond de votre frigo ou à la cave si elle est fraîche, et le tour est joué. 

Le bouillon de palourdes est assez facile à réaliser, mais compte tenu du prix des palourdes, il m'arrive parfois d'utiliser un bouillon en infusion, que j'améliore à ma sauce. 

Recette

Préparez 1,5 litre de bouillon de palourdes selon votre recette ancestrale, ou en suivant les indications du paquet.

Ouvrez une douzaine d'huîtres charnues, décoquillez-les en les plaçant dans une passoire pour recueillir toute leur eau. Un cuisinier classique et patient vous dirait d'ébarber les huîtres, mais tous ceux que je connais ne le font pas lorsqu'ils cuisinent pour eux-mêmes. Mettez quelques fragments de wakamé à réhydrater dans un bol d'eau froide. 

Dans une autre grande casserole, faites revenir dans un peu de beurre trois échalotes hachées finement, et le double de poireau en quantité. Lorsque c'est bien fondu, ajoutez trois feuilles de laurier et mouillez avec le bouillon. Laissez cuire quelques minutes, puis ajoutez l'eau des huîtres et un demi-verre de Noilly-Prat. Portez à ébullition, laissez tiédir ainsi et filtrez. 

Râpez votre morceau de porc fumé et séché, j'utilise la râpe Microplane que vous pouvez apercevoir sur la photo ci-dessus (ou alors ici), l'un de mes joujoux les plus indispensables. 

Faites chauffer votre bouillon au moment de préparer votre roux blanc, comme suit : Dans une casserole à fond épais, mettez à fondre 70 grammes de beurre, et lorsqu'il est bien chaud (pas de coloration), ôtez la casserole du feu et ajoutez d'un coup le même poids de farine. Mélangez vivement avec un fouet jusqu'à obtenir un aspect homogène. Remettez sur le feu, et faites cuire en remuant jusqu'à épaississement de l'appareil. La couleur doit rester blanc-crème et ne pas roussir.  

Hors du feu, versez d'un coup le bouillon de palourde brûlant, remuez bien, et faites épaissir l'ensemble sur feu moyen, sans arrêter de fouetter.

J'ai eu la chance ce jour-là d'avoir comme invité mon ami Michel Izard, la star des boulangers du Finistère et bien au-delà, qui avant d'être dans le pétrin était au piano (il est lauréat du Prix Taittinger), et son parcours d'apprentissage l'a conduit entre autres à La Mère Poulard, au Mont Saint-Michel (ce haut lieu de la culture bretonne). Je l'entendais battre mon velouté aussi harmonieusement qu'un batteur de jazz, et il m'expliqua que c'étaient les longues heures passées à battre les omelettes en salle et en rythme, qui expliquaient ce talent.

Bref, un magnifique velouté, dont il ne reste qu'à rectifier l'assaisonnement. Comme souvent avec les coquillages, j'ajoute du poivre noir et un soupçon de macis. Si vous avez l'âme plus normande que le Mont Saint-Michel, vous pouvez perfuser un peu de crème fraîche, mais on s'en passe très bien. Disposez les huîtres crues et un peu de wakamé réhydraté au fond des bols de service, ajoutez le velouté brûlant, qui va légèrement cuire les huîtres, et saupoudrez de copeaux de lard fumé.

Lorsque j'ai servi, j'ai eu un instant d'inquiétude, car le filet fumé d'olivier Hélibert embaume tellement, que j'ai craint que cette saveur emporte tout. Au final non, c'était équilibré, la saveur fumée plutôt discrète, et nous avons bien aimé. Une seule photo, pas très belle, mais c'est ingrat à photographier, un velouté, d'autant que je l'avais déjà remué avant de prendre ce cliché. 

veloute1

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Commentaires
C
je gouterais bien...
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C
Mais quelle brillante idée !! Formidable !! Et ta recette d'ormeaux me met la larme à l’œil (quelle beauté !!). Je suis par ailleurs tout à fait réjouie par le concept de "matraque à bigorneaux", mais faudra que tu m'expliques :)
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L
Ah, comme tu dis, les "grands" (soyons généreux pour l'auto-estimation) esprits se rencontrent ! Nous concoctons un peu la même chose chacun dans sa marmite. L'huitre et le porc, c'est une des rencontres les plus éclatantes !<br /> <br /> <br /> <br /> Le paragraphe "On a parfois l'impression que les japonais font des trucs...." m'a beaucoup beaucoup amusé.
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_
"La civilisation et le progrès culinaire ne consistent pas à servir des bulles de fraises aux épinards, flottant sur un tapis de fleurs, mais à s'enrichir des connaissances et du savoir-faire d'autres cultures. " J'applaudis de manière enthousiaste à cette phrase.<br /> <br /> Sinon René Redzepi, le cuisinier Danois, qui expérimente toutes sortes de fermentations, utilise aussi du porc fumé à la manière des katsuobushi.
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G
Du jus de tendance - c'est si joliment dit.
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