750 grammes
Tous nos blogs cuisine Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Cuisine de la mer
Cuisine de la mer
Newsletter
Archives
19 janvier 2014

Queue de homard, bouillon de poule au curry de Bombay

Les bretons ont franchi le cap de 2013 à 2014 en se demandant s’ils devaient manger la grenouille ou boire le bouillon. J’aime assez la grenouille, mais le bouillon me passionne plus que la grenouille, quelle que soit la saison. Ne croyez pas qu'il s'agisse de ma part d'un ostracisme envers les créatures d'eau douce, car il existe une grenouille de mer. Rien à voir avec le batracien imbécile qui veut se faire aussi gros que le bœuf, mais c'est quand même une grenouille à grande bouche. 

Raniceps_raninus

C’est vrai que nous avons pris quatre gros coups de suroît d’affilée, associés à un fort coefficient de marée, et que les patelins situés au niveau de la mer, voire en dessous, en ont sérieusement pris pour leur coiffe. On comprend pourquoi les hollandais se sont installés tout au nord, ça les protège des vents du sud, mais avec le vent du nord, écoutez-le craquer le plat pays qui est le leur.

inondation bigouden

Dans les abers, point d’inondation, ce sont des fjords un peu érodés par le temps, des vallées encaissées dont la mer a pris possession comme d'un dernier terrain vague. Lorsqu’elle monte, elle vient juste lécher le haut des quais, on dirait presque qu’ils ont été construits exactement à la bonne hauteur. Pour l’instant, l’effet de la fonte de la banquise n’est pas encore perceptible sur la limite haute des quais, les dockers travaillent encore sans échasses, même lors de l'équinoxe de printemps, en pleine fonte des neiges. 

Ci-dessous, une vue de loin du quai de Paluden, sur l'aber Wrac'h, prise fin décembre dernier. J'ai grandi dans la maison qui se cache en haut et à droite de la photo, derrière les pins, c'est vous dire si j'étais bien placé pour surveiller la hauteur de l'eau, à moins que le quai n'ait grandi depuis, un peu comme moi. Je vous en mets quelques-unes tant que j'y suis, cette matinée le temps était radieux et la lumière magique. C'est typiquement le calme avant la tempête... 

Paluden7

Les bateaux ci-dessous sont des unités pour l'ostréisculture, le traditionnel dragueur et les plus modernes chalands, qui ont l'avantage  de pouvoir s'amarrer à de petits quais pas encore adultes. 

Paluden2

Paluden3

Paluden5

Paluden6

Bref, je me promenais insouciant, ayant constaté en arrivant que dans le champs qui me tient lieu de jardin, je n'avais pas plus de dégâts à déplorer autres qu'un peu de bois mort tombé des arbres, et une étonnante poussée de laine de verre sur l'herbe, signe évident que quelques toitures alentour y avaient laissé des plumes. Et puis le soir, je trouvais un petit mot de mes voisins, m'indiquant gentiment que deux arbres à moi gisaient dans leur chemin, je n'avais pas pu les voir, car ils avaient chuté du côté extérieur de la haie. 

Ainsi, au lieu de continuer à me balader dans la beauté des calmes et des tempêtes, je me suis dépêché de faire aiguiser la chaîne de ma tronçonneuse, ce qui au passage a confirmé à la fois mon rejet des couteaux électriques et ma haine des bûches d'après Noël. 

Ces petits malheurs sylvestres ne furent rien comparés à ma détresse halieutique. Venu seul car ni femme ni fille n'a voulu s'exposer aux tempêtes et aux coupures de courant. Je m'étais dit aussi que puisque la nuit tombe vite en cette période, j'aurai plus de temps pour tenter des recettes en toute impunité, n'ayant pas à me soucier des remarques de mes goûteuses habituelles. J'adore tester des plats pour moi tout seul, même dans l'insolite, je ne sais pas si vous vous souvenez de ma salade de saumon fumé aux primevères ? C'était déjà une recette d'après tempête. 

Alors, déjà qu'au moment des fêtes les prix ont tendance à augmenter, le fait que les pêcheurs ne soient que très peu sortis en raison des tempêtes (et il n'est bien évidemment pas question de prétendre qu'ils ont eu tort), a catapulté ces prix à des sommets rarement atteints, pour une qualité pas optimale souvent. Je suis même allé visiter les poissonneries d'hypermarché (et pourtant, hein...), j'en suis revenu totalement abasourdi. 

Bref, il m'a fallu réagir sereinement, me préparer un truc à la fois chaud et évolutif. J'ai donc cuisiné une poularde au pot, une jolie bien grassouillette, rescapée des agapes du 24 ou du 25 décembre. Un régal, avec des carottes, du navet, du poireau, de l'oignon et de la branche de céleri. Totalement classique. Que j'ai d'abord mangée tout aussi classiquement, puis en chinoisant un peu avec la chair de la volaille et en bouillonnant de diverses façons, je ne vais pas tout vous raconter sur mon intimité de célibataire. Surtout avec une poularde. 

A ce propos, savez-vous ce que sont les œufs de poule de mer ? La plupart d'entre vous en a déjà mangé au moins une fois je pense. Il s'agit de l'un des noms vernaculaires de la lompe ou lump (Cyclopterus lumpus). 

lompe

Notez quand même que je n'ai pas fait un bouillon de volaille sans une idée précise derrière la tête...

Le vendredi précédent mon départ, j'avais invité ma femme à déjeuner de l'un de ses plats favoris dans mon restaurant préféré, le Spring à Paris, où l'américain Daniel Rose est aux commandes.

Américain, mais très français dans sa cuisine qui est basée sur un savoir-faire classique et hautement maîtrisé, avec une créativité toute en finesse, toute en saveurs fulgurantes, le tout sans aucune esbroufe, sans assiette qui se prend pour un herbier décoratif, une salle sobre avec la cuisine ouverte où l'équipe s'active sans bruit et le sourire aux lèvres. Par-dessus tout, Daniel respecte la saveur des produits avec un soin maniaque, et ça, c'est irremplaçable. 

La carte des vins est merveilleuse, et j'ai même découvert ce jour-là un étonnant rhum de Trinitad & Tobago, un pur délice aromatique, je me suis d'ailleurs rué aussitôt pour en acheter deux bouteilles, une dans chaque main et vogue la tronçonneuse !

trinitad

Entre autres mentors, Daniel Rose a été formé à L'Auberge des Abers par mon ami Jean-Luc L'Hourre, le MOF étoilé dont je vous ai souvent parlé dans mes billets. L'Auberge des Abers a fermé, pour ceux qui voudraient des nouvelles de Jean-Luc, il est toujours en Corse, et il s'éclate... 

Bref, avant le lièvre à la royale et après des amuse-bouches étonnants, Daniel avait concocté une entrée légère, des langoustines crues légèrement snackées, quelques navets boule-d'or et  du Pardailhan, sur lesquels on verse un bouillon de volaille légèrement relevé de curry doux. Je m'en  délectais, ma femme aussi, et lorsque j'en fis part à Daniel, il me dit, avec comme un reproche amusé dans le regard : "Tu ne reconnais pas ? C'est la recette de Jean-Luc".

Ah mais oui, si bien c'est bien sûr, Jean-Luc et ses bouillons magiques, il m'avait appris son bouillon d'étrilles, recette que j'ai partagée ici, j'aurais dû passer plus de temps en cuisine qu'au bistrot avec lui, mais pouvais-je me douter qu'il quitterait Lannilis aussi vite...

Maintenant que je vous ai raconté ça, vous comprenez sans doute mieux pourquoi je me suis dépêché de faire une poularde au pot pour moi tout seul en arrivant en Bretagne. Inutile de vous préciser que je n'ai pas obtenu un résultat aussi impeccable qu'au Spring, mais c'était très bon quand même...

Queue de homard, bouillon de poule au curry de Bombay

Ingrédients

- un homard de 350 grammes
- bouillon de poule ou de poularde
- perles du Japon
- curry de Bombay
- cerfeuil
- sel fin
- poivre blanc Muntok

Le curry de Bombay est un mélange doux, délicatement aromatique. Il contient un peu de fenouil en plus du fenugrec, il n'est pas agressif du tout, ce qui en fait un massala bien adapté aux recettes marines délicates. J'utilise de plus en plus d'épices de chez Olivier Roellinger, certes elles sont plus chères que celles que je vais acheter dans les quartiers "ethniques" de Paris (mais souvent moins chères que celles de supermarché !).

Elles sont d'une qualité et d'une fraîcheur irréprochables, et au final, j'ai l'impression de faire des économies, car elles sont vendues en plus petit conditionnement, je les termine donc plus vite, sans avoir la peine de me débarrasser de grands sachets entamés que le temps a dégradé. Surtout dans la maison bretonne que je n'habite pas en permanence. 

bombay-curry-epices-roellinger-by-beena

Vous pouvez vous étonner de trouver du homard en cette saison sur ce blog, alors que la meilleure période commence au mois de mai, mais comme j'allais vous l'expliquer plus haut avant de légèrement digresser, c'est de la faute à la tempête et au prix faramineux atteint par les langoustines.

Or, en allant commander quelques ormeaux de Molène au vivier d'à côté, j'aperçu dans le bac à crustacés un petit homard bien vif et bien plein, auquel il manquait une pince. Mon sang ne fit qu'un tour (même pas un tour complet, si ça se trouve), je m'en emparais demandais à la dame si elle me faisait un prix en raison de l'amputation, comme c'est la coutume. Demi-tarif qu'elle me dit, elle le pèse "7 euros, ça va ?" Et comment que ça m'allait. Par contre il n'y avait plus d'ormeaux, j'ai dû me contenter de leurs cousins les bigorneaux et trouver des ormeaux ailleurs, mais on en reparlera. 

La partie la plus sportive de la recette consiste à décortiquer le homard encore vivant (soyez sympas, ne me dénoncez pas aux ennemis du gavage de canard et de l'éventration d'esturgeon réunis, ils vont encore me pourrir les commentaires sinon). Tellement de gens m'ont prétendu que c'était impossible à réaliser, on le lit également ci et là, que je n'avais jamais tenté l'expérience. Là je me suis dit que j'allais procéder comme pour les langoustines décortiquées à cru. C'est exactement le genre de truc que je tente lorsque je suis seul, me disant que si ça rate, je n'empoisonnerai que moi. Et bien on peut, j'ai pratiqué en me référant aux langoustines qu'il faut glacer pour les décortiquer à cru commodément. 

Recette

Placer le homard au congélateur pendant une quinzaine de minutes. Cette opération va l'anesthésier profondément (voire le tuer, il ne remuait plus) et surtout, permettre à la chair de plus facilement se décoller de la carapace. Utilisez une paire de ciseaux, de préférence des ciseaux à oursins, et procédez comme je l'explique dans ce vieux billet. Vous devrez un peu plus jouer de la lame que dans cette version cuite, en particulier couper tout le long du "dos" de manière à séparer la carapace en deux. N'essayez pas avec les pinces, faites-en autre chose. Si l'opération vous effraye, vous pouvez vous contenter de couper la queue à cru en médaillons, ce sera bien aussi, mais reconnaissez que le résultat vaut le coup d'œil

Hobouillon3

Cuisez un peu de perles du Japon dans du bouillon, égouttez. Lavez du cerfeuil et hachez-le grossièrement au couteau. Mettez un peu de beurre dans une poêle, et quand il est bien chaud, marquez rapidement la queue de homard, sans la cuire, juste pour exhaler en surface la saveur du crustacé.  Réservez le tout

Faites chauffer le bouillon assaisonné d'un peu de curry de Bombay, n'ayez pas la main trop lourde, ça doit conserver la saveur de la volaille. Mettez aussi les perles du Japon à réchauffer dans le bouillon. Poivrez et rectifiez le sel. Disposez la queue de homard dans une assiette creuse, versez le bouillon brûlant par-dessus, ajoutez du cerfeuil et servez aussitôt. 

Hobouillon1

Le bouillon était bien plus translucide que la photo ne le laisse paraître, ce sont sans doute les perles du Japon (et mon flash pourri) qui donnent cette couleur bizarre... J'aurais pu avoir la main plus légère pour le cerfeuil, mais j'aime beaucoup cette herbe. La queue du homard s'est logiquement entortillée sous l'effet de la chaleur, il faut un couteau, voire une fourchette, en plus de la cuiller pour manger ce plat. Dégusté seul et heureux dans ma cuisine le 31 décembre, en prélude d'une poêlée d'ormeaux. 

*****

Rejoignez CdM sur Facebook (clic & like)

*****

Publicité
Commentaires
M
Oh la la ! y a du beau monde dans les commentaires !<br /> <br /> Pour ce qui est de "refroidir" des bestioles, j'ai testé sur les anguilles : ça marche pas du tout !<br /> <br /> Quant aux épices, à défaut d'avoir accès (géographiquement et budgétairement) aux épices Rollinger, j'en trouve sur le marché du dimanche, conditionnées en petits sachets, pas plus chères voire moins, et de meilleure qualité que celles des supermarchés.<br /> <br /> <br /> <br /> Mais bon, si je cause autant c'est surtout parce que je suis impatiente de lire un nouveau billet de m'sieur Cadour !
Répondre
C
Tu parles de grenouille à grande bouche et je me dis qu'on a dû se croiser dans une autre vie, c'est pas possible autrement. C'était MON histoire quand j'étais gosse, j'étais connue pour ça. Je racontais l'histoire de la grenouille à grande bouche à tous les gens que je rencontrais. 25 ans plus tard, je suis et je resterai pour toujours la grenouille à grande bouche pour tous les amis de mes parents.
Répondre
N
Il est en forme ce homard, quelle belle assiette !<br /> <br /> Moi, je suis bien trop cucul la praline pour oser mettre un homard vivant dans mon congélateur. C'est pas dans cette vie-là que j'y arriverai ;)
Répondre
G
Les petits repas en solitaire, sans critiques familiales, ya pas mieux pour innover, oser. J'aime beaucoup l'idee de la chair cuite par le bouillon parfume, comme dans les soupes asiatiques, et ton assiette ressemble a la mer,<br /> <br /> Par contre l'idee de decortiquer la bestiole me parle beaucoup moins. Une experience avec des langoustines - tres - vivantes m'a un jour traumatisee (mais je ne savais pas a l'epoque qu'il fallait les laisser un peu au congelo avant de proceder, j'avais fait a la barbare).<br /> <br /> Quant aux epices, je suis plus ou moins d'accord. Ils sont effectivement tres frais, d'excellente qualite, il y a des melanges qu'on ne trouve pas ailleurs, ses poivres et ses vanilles sont de toute premiere qualite et comme toi j'aime beaucoup le conditionnement, on en perd moins. D'ailleurs je l'avoue, j'en ai plein. Mais c'est efectivement tres tres cher, et si tu fais des curry souvent, tu es oblige d'y retourner regulierement chez Roellinger. A mon avis, il faut avoir le palais tres fin pour sentir la difference sur certains epices.
Répondre
P
Quand tu veux Luna...
Répondre
Publicité