Gravlax de bœuf, salsa tonnata
Avant d'entrer dans le vif du sujet, et à la demande unanime de trois ou quatre d'entre-vous, voici quelles sont les premières séances de dédicace prévues pour mon bouquin sur la pêche à pied. Si vous souhaitez que j'accoste dans votre coin, n'hésitez pas à me proposer un plan, librairie ou autre Festival de la moule, j'adore me balader et rencontrer de nouvelles têtes.
L’un des billets de ce blog que je me suis le plus régalé à écrire (et à manger) est probablement celui-ci, où je vous révélais à la fois l’histoire véritable de l’arrivée des vikings en Normandie, et ma façon de préparer le saumon en gravlax, ce qui est un pléonasme, puisque "lax" signifie saumon en de nombreux dialectes scandinaves ; cela-dit, le mot "gravlax" désigne désormais un mode de préparation, qui ne s’applique pas qu’au saumon.
Quelques mois plus tard, je goûtais à la Mère Brazier mon premier gravlax de bœuf, avec autant de surprise que de plaisir. L’excellent chef, Mathieu Viannay, me révéla alors : "Tu fais comme pour le poisson". Il a fallu ensuite de longs mois pour me décider, et au bout de quelques essais, me voici au top pour partager avec vous cette recette.
Je comprends votre surprise de trouver de la viande sur ce blog marin, ce n’est pourtant pas la première fois que j’ose, de même que les associations carnées terre-mer sont fréquentes dans ma cuisine ; souvent avec le porc, bon sang breton ne saurait mentir, mais aussi le bœuf, comme dans cette daube des mariniers ou cette poire aux langoustines. Il s'agit d'une pratique que nous autres finistériens avons empruntée aux espagnols, c'est en effet dans le grand sud que se situe le port de Concarneau, où il est trop facile de deviner l'étymologie "con carne".
Ici, outre le sel indispensable à la réalisation du gravlax, c’est dans l’assaisonnement qu’il faut chercher le poisson, à savoir du thon et des anchois, indispensables à la "salsa tonnata".
Cette sauce est le plus souvent servie sur des tranches de rôti de veau très fines, pour réliser le célèbre « vitello tonnato ». Vous me connaissez : pas question de vous rabâcher un plat déjà maintes fois repris dans tous les recoins des internets, d’autant que je n’ai jamais réussi à cuire correctement un rôti de veau, nous avons tous nos fragilités. D'aucuns vont râler parce que je ne fais pas la "bonne version" de la sauce, mais pour avoir essayée celle au bouillon de veau et celle à la mayo, je trouve la seconde plus flatteuse, même si elle est affublée d'un qualitatif peu flatteur, "salsa tonnata veloce".
N'allez pas croire à la lecture de ces lignes, que je parle le finnois, l'espagnol ou l'italien, je n'ai le don des langues que lorsque celle qui se trouve sous mon palais est concernée, et je deviens polyglotte dès qu'il s'agit de trucs à manger, tout en regrettant de n'avoir qu'une glotte (qui n'est pas de Lourdes). Cela-dit, nous voici dans une cuisine fusion pan-européenne, avec une technique scandinave et un apprêt transalpin (d’épices).
Evidemment, si j’avais été puriste ou imprécateur culinaire, c’est du bœuf de mer que j'aurais dû cuisiner, un poisson que l'on trouve surtout en Méditerranée. Une bête étrange, proche de la vive, se comportant comme une lotte, ressemblant à un carlin (le chien, pas le poisson), et dont la chair rappelle celle de la rascasse (avec beaucoup d’indulgence). Notez qu'il arrive qu'on le nomme aussi "rat de mer".
Il s’agit d’un poisson de roche qu’on incorpore dans les soupes de poissons, dont la bouillabaisse, au même titre que la vive. Poisson de roche ou non, il vit carrément presque enfoui dans les sédiments sous-marins, et il vous regarde par en dessous, le genre sournois.
Ses deux grands yeux ronds et proéminents sont fichés sur le sommet de la tête, ce qui lui a valu un nom officiel l’apparentant plus à un instrument médical qu’à un accessoire d’aquariophilie, puisque c’est l’uranoscope, « urano » étant en grec le ciel, et « scope », regarder (je vous la fais rapide). Chez les anglais, il regarde les étoiles (starglazer). Le don des langues je vous dis...
Bref, il vous voit venir, comme il aperçoit ses proies attirées par un appendice situé près de sa gueule, et évoquant la forme d’un ver de couleur rosée, très appétissant pour tout poisson en goguette. Vous pouvez marcher dessus par mégarde, sachez que la rencontre se révèle très douloureuse, et pas pour le poisson qui risque au pire de laisser quelques épines venimeuses dans votre épiderme. Sur la photo ci-dessous, on voit nettement cet appendice rosé qui sert à attirer les proies.
Voilà donc ce qu’est le bœuf de mer ; entre nous si j’ai le choix, je préfère du bœuf à quatre pattes. Je prépare mes carpaccios avec ce que me donne mon boucher, généralement c’est de la tranche (et je lui rétorque que je veux de la tranche fine, car il n’y a pas que dans les poissonneries que je fais le con), mais ce jour-là, j’avais ramené de Rungis un filet de bœuf entier, obtenu au prix du steak de base, et c’est ce que j’ai utilisé. Mes essais précédents avaient étés effectués avec de la bavette d’aloyau, tout à fait convaincante aussi, avec un peu plus de saveur que le filet.
Gravlax de bœuf, salsa tonnata
Ingrédients
- un pavé de viande de bœuf à steak de 600 g au moins
- gros sel de mer
- sucre en poudre
- origan grec
- baies de genièvre
- clous de girofle
- poivre noir en grains
Pour la salsa tonnata
- un œuf
- huile d'olive
- une boîte de thon entier à l'huile
- 4 à 6 filets d'anchois
- caprons
- poivre blanc
- 1/2 citron jaune
Le capron est le fruit du câprier, tandis que la câpre en est le bouton floral. Il se caractérise par une forme allongée, et une saveur plus douce, mais un peu musquée qui ne plait pas à tout le monde. Vous pouvez bien entendu remplacer l'un par l'autre si le capron vous dérange.
Choisissez du thon en boîte de qualité, et de bons filets d'anchois, que vous dessalerez une bonne heure s'ils sont au sel, précaution inutile s'ils sont à l'huile. Vous pouvez utiliser l'huile de la boîte thon, mais celle des anchois.
Recette
Préparez un mélange de 200 g de gros sel pour 100 g de sucre en poudre, auquel vous ajoutez une cuiller à soupe d'origan grec, et autant d'un mélange d'épices concassées (poivre noir, baies de genièvre, et très peu de clou de girofle). Idéalement, vous frottez aussi votre viande avec le même mélange d'herbes et d'épices.
Nettoyez votre viande, en ôtant au besoin les parures grasses ou nerveuses, mais conservez bien le pavé sans l'entailler. Dans un récipient, placez une couche de l'appareil à base de gros sel, puis la viande, que vous couvrez du reste du mélange. Filmez et tenez au frais entre 6 et 8 heures, en fonction de l'épaisseur de votre pavé. Au bout de ce délai, rincez et épongez soigneusement la viande, et réservez au frais jusqu'au service.
Pour la salsa tonnata, préparez une mayonnaise à l'huile d'olive, pas trop montée, inutile d'y mettre une tonne d'huile. Vous y incorporez une cuiller à soupe de jus de citron jaune. Ecrasez au mortier et dans cet ordre, les filets d'anchois, une dizaine de caprons équeutés, et le thon en boîte. Assemblez ce mélange avec la mayonnaise.
Pour le service, coupez de minces tranches de viande (bien moins fines que pour un carpaccio), et présentez avec la sauce.
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