Je ne tiens probablement pas la recette de l'année avec des méduses, et encore moins un moyen d'assurer la rentabilité de ce blog. Médusé à mon tour par le klaxon tant sonnant que trébuchant de la rengaine des sirènes, j'ai souhaité trouver un sponsor pour ce billet, un suisse de préférence. 

L'avantage de la Suisse (outre l'heure exacte et le chocolat au lait) est qu'on y trouve le bonheur nostalgique du retour au Franc dans un climat fiscal affectueux... Je m'apprêtais donc à tendre ma sébile outre-Léman, lorsque contrariété absolue, j'apprenais avec stupeur que la consommation des méduses est interdite en cette contrée aussi enclavée que la Mongolie Extérieure et l'Auvergne réunies. 

Si un indigène pouvait nous le confirmer, je l'en remercie par avance, car je n'ai comme source que cette page où des méduses décorent un restaurant de Lausanne, et je n'ai pas pour habitude de prendre l'Helvétie pour des lanternes. Profitez de votre visite pour admirer le ballet hypnotique nerveux de ces animaux.

Allégorie de blogosphère mercantile et indignée

Quittons la Suisse pour repartir en mer, encore qu'il existe des méduses d'eau douce, fort gracieuses également, dont vous pouvez avoir un aperçu ici.

Les Envahisseuses (Les origines)

Les Méduses, ces êtres étranges venus d'une autre planète. Leur destination : la Terre. Leur but : en faire leur univers. Je les ai vues. Pour moi, tout a commencé par une nuit sombre, le long d'une route solitaire de campagne (dite Route à Quatre-Grammes), alors que je cherchais un raccourci que jamais je ne trouvai (j'étais complètement rôti).   

Cela a commencé par une auberge abandonnée et par un homme devenu trop las pour continuer sa route. Cela a commencé par l'atterrissage d'un vaisseau venu d'une autre galaxie. Maintenant, je sais que les envahisseuses sont là, qu'elles ont pris forme humaine et qu'il me faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé...

Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas en radeau que les méduses sont arrivées jusqu'à nous, elles ont été parachutées. Comme quoi leurs vaisseaux spatiaux ne sont pas plus sophistiqués que les nôtres.

Une fois abimées dans les abysses, elles libèrent des capsules qui vont se fixer au fond et attendre patiemment, parfois des années, que le signal de l'attaque leur soit donné. Les jeunes créatures libérées des oeufs se transforment en polypes, qui vont générer des empilements de disques, dont chacun deviendra une méduse, qui elle-même engendrera... sachez toutefois que ce n'est qu'une fois tuée que la méduse libère sa matière procréative, ce qui est encore plus déprimant que le cas de la seiche. 

Source

Après une cinquantaine de jours, ces disques deviennent des méduses adultes, qui selon leur spécialité génétique, vont rester dans les grands fonds (les coronates), camper en vigie sédentaires fixées à leur support (les stauroméduses), se cantonner au large où elles prennent des proportions énormes rien qu'en se nourrissant de plancton (les rhizostomes), et pour celles qui nous intéressent le plus ici, tenter de coloniser les rivages et le reste du monde (les séméostomes) ; à partir de là, il y a plusieurs milliers d'espèces, rien que ça.

Elles s'efforcent de prendre forme humaine, mais toutefois certains stigmates demeurent, notamment ces filaments et tentacules à usages multiples dont elles sont affublées, et qu'elles tentent de dissimuler plus ou moins habilement.  

Le mimétisme avec notre espèce est quasi-parfait, mais une particularité physique les trahit, certes moins facile à détecter que l'auriculaire raide des Envahisseurs de mon estimé collègue David Vincent, mais tout aussi imparable : Les méduses n'ont pas d'anus, elles ingèrent leur nourriture, la digèrent, puis régurgitent le solde de tout compte. Voici quelques exemples pour vous guider cet été, merci à Sandrine pour sa collaboration iconographique.

Plages de Jamaïque
Envahisseuse                   Humain

Petites filles modèles
Envahisseuse                      Humaine

Grandes filles modèles
Envahisseuse                             Humaine

Cornemuse et corneméduse
Envahisseuse                        Humain

Soeurs Tipiec et Soeurs Goadec
Envahisseuses                       Humaines

Prise de tête
Envahisseuse                 Carl Linné

Je me suis longtemps demandé ce qui a pris à l'ineffable Linné d'affubler ce gracieux animal du nom de Méduse, qui est l'une des trois sœurs Gorgones, des teigneuses mythologiques... Je ne vais ni vous raconter l'histoire de ces créature des Enfers (selon Homère), ni vous détailler leur généalogie, ni encore moins trancher le débat qu'elles furent laides (comme sur la plupart des représentations), ou belles (comme le prétend Ovide), il semble toutefois que la méchanceté les aient progressivement enlaidies. Voilà. 

Des trois frangines, Méduse était la seule mortelle et la plus crâneuse, fière comme tout de sa belle chevelure blonde, à ce point que cela indisposa Athéna qui l'affubla d'une tignasse de serpents. Ce qui la rendit tout de suite moins sexy. Suffisamment toutefois pour que Poséidon, également locataire des Enfers avant de devenir la divinité en charge des mers et océans (un cousin à moi), lui fasse deux enfants, et pas dans le dos.

Le cheval ailé Pégase et le guerrier Chrysaor naquirent une fois Méduse décapitée par Persée, lequel ne s'est pas dégonflé pour autant. Il a dû s'approcher avec d'infinies précautions pour ne pas être vu, car le regard de la Gorgone pétrifie quiconque le croise, Persée ou Etanche. De mémoire (mais là je suis autant crevé que Persée après son exploit), c'est là qu'intervint le fameux bouclier-miroir, et l'auto-médusance de Méduse.

Est-ce en raison de la chevelure serpentaire, à cause de ces naissances post-mortem, ou d'après son regard pétrifiant que Linné a choisi son nom à la méduse ? L'histoire penche pour la première hypothèse, mais on peut s'attendre à tout de la part d'un type qui se coiffe d'une méduse.

Il n'empêche que la méduse, pour un animal composé à 97% d'eau, dispose d'un bel arsenal pour réussir dans la vie. Comme la Gorgone éponyme, elle a le regard qui tue, avec des centaines voire des milliers d'yeux répartis en corolle (un cas unique), c'est l'un des animaux qui le premier a été doué d'un organe de vue, et d'une structure nerveuse, avec l'éponge (dont on se prend à comparer la structure avec celle d'un cerveau).

La méduse possède aussi des muscles striés, particularité qu'on ne retrouve que chez les vertébrés, un mécanisme d'échange gazeux et des prémices d'oreille interne servant comme chez nous à son équilibre. Entre le stade d'oeuf et celui de polype, la méduse ressemble étrangement à un foetus humain... et elle était sur terre bien avant nous, puisqu'elle peuple les eaux depuis environ 600 millions d'années.

Je ne veux certes pas tirer de conclusion hâtive mais si vous croisez un jour une personne au regard venimeux, doté du quotient intellectuel d'une éponge, à la main molle et moite, et qui pète par la bouche, vous pourrez légitimement soupçonner être en présence d'une Envahisseuse. Réfléchissez, je suis certain que vous en connaissez au moins une.

Les Envahisseuses (Les temps modernes)

On croit que j'exagère. Pourtant la prolifération des méduses est une donnée observée, et avérée, comme on dit dans la presse d'information. A ce point qu'on estime que leur population aura doublé d'ici une dizaine d'années. Ceux qui fréquentent les plages le savent bien. On avait observé que les "années à méduses" se produisaient environ tous les douze ans, ce qui était somme toute assez raisonnable.

Aujourd'hui, c'est pratiquement tous les ans,  et les autorités balnéaires sont bien enquiquinées... Installer des filets de protection pour les plages coûte une fortune, les détruire mécaniquement alors qu'elles sont encore au large ne fait qu'aggraver le problème à terme, puisque tout le monde sait maintenant que c'est en mourant qu'elles se reproduisent.

La nature a autant horreur du vide que moi devant un verre. Lorsque pour des raisons de surpêche ou de pollution, les espaces sous-marins sont vidés de leurs habitants traditionnels, d'autres moins regardants sur la propreté, ou moins convoités par les pêcheurs viennent coloniser l'endroit, et cela de façon généralement irrémédiable puisqu'ils entrent en concurrence sur les proies.

La pollution et la surpêche font aussi des ravages auprès des prédateurs des méduses, on peut citer parmi d'autres la tortue luth dont les sacs plastiques dérivants font de véritables hécatombes, puisqu'elles les confondent avec les méduses qui constituent l'essentiel de leur nourriture, ou le thon rouge qui s'en nourrit plus qu'occasionnellement, et dont il n'est nul besoin de rappeler qu'il subit un véritable massacre... 

Ramassage de méduses en Vendée

A nous de voir si nous voulons léguer à nos enfants des mers peuplées de méduses et de différents poulpes et calamars, qui sont également des bénéficiaires de ces déséquilibres causés par l'homme.

Ce n'est pas qu'une question de désagrément de baignade... cela va même jusqu'à la sécurité nucléaire, on a déjà dû arrêter le fonctionnement de centrales nucléaires côtières en raison du pullulement dans le système de refroidissement d'une variété de méduses nommée "groseille de mer". Parce que bien entendu, le réchauffement du milieu marin favorise leur développement...

Je vous encouragerais bien à les manger pour enrayer le phénomène, comme je le fis à une époque pour les crabes verts, sans succès apparemment, mais celles de nos côtes ne sont pas comestibles, du moins à ma connaissance. Les asiatiques par contre en sont amateurs depuis toujours, et même comme cela, les pêcheurs sont confrontés à une invasion dramatique.

Ce qui n'empêche pas certains de les élever par ailleurs, ainsi la très comestible catostylus mosaïcus ("blue blubberf jelly fish", soit littéralement "méduse grasse bleue") fait-elle l'objet d'élevages quasi-industriels d'où elle ressort déshydratée.

Dans nos contrées, les méduses sont au mieux inoffensives, et parfois fortement urticantes, mais pas au point de provoquer des décès comme la terrible guêpe de mer. Si d'aventure vous êtes la victime d'une brûlure de méduse, ne frottez pas, ne rincez surtout pas à l'eau douce, cela avive la douleur. Le bon truc consiste à mettre du sable sec sur les endroits atteints et de rincer abondamment à l'eau de mer. Traitez ensuite comme une simple brûlure. On prétend également que la crème à raser fonctionne bien, mais on en a moins facilement sous la main, en bord de mer même sur les plages de naturistes.

N'empêche que c'est bien bon la méduse comestible...

Salade de méduse 

Ingrédients

- méduse
- concombre
- carotte
- poivron rouge
- ail 
- citron jaune 
- nuoc-mam ou nam-pla 
- huile de sésame
- sucre de palme (cassonade à défaut) 
- piment rouge frais
- ciboulette thaïe

La méduse est vendue sous trois formes différentes, le plus souvent séchée. Il faut alors la couper en lanières avec des ciseaux et la blanchir deux minutes avant de la réhydrater.

Il est possible également de les trouver en saumure, comme ci-dessous, elles demandent alors une préparation assez longue pour être consommées, il faut les tremper longtemps pour les dessaler, puis les blanchir, etc..

J'ai une préférence pour la version déshydratée, hélas de plus en plus difficile à trouver. A ce point que j'avais fini par renoncer à cette gourmandise, lorsqu'une visite à l'excellent blog de cuisine asiatique "Le canard du Mékong", me mettait sur la voie d'une forme de commercialisation que je ne connaissais pas encore, le sachet sous vide de méduse prête à l'emploi. Il y a même les sachets d'assaisonnement à part, mais vous me connaissez, je ne les ai pas utilisés, même pas goûtés.

On m'a demandé d'indiquer l'adresse, je le fais volontiers car les produits y sont de bonne qualité, malheureusement souvent en conditionnement trop généreux en ce qui concerne les produits frais : Big Store - 81 avenue d'Ivry - Paris 13.

Recette

Commencer par tailler le concombre et la carotte en julienne. Je compte au plus deux carottes pour un concombre. Pour un sachet de méduse, j'ai utilisé un demi concombre, une petite carotte et un demi poivron rouge.

Plusieurs solutions s'offrent à vous, le couteau et la patience, la mandoline, la râpe à julienne, ou l'instrument mis au point pour la salade de papaye verte, et que j'utilise pour tous mes "spaghetti" de légumes. Il en existe deux modèles très courants dans les magasins asiatiques, celui en forme d'étrier (photo ci-dessous), et celui que je préfère utiliser, avec la même lame au bout d'un manche, à vous de voir celui que vous préférez !

Coupez le poivron rouge en lamelles. Sortez les méduses du sachet et rincez-les soigneusement. A ce stade, vous pouvez les laisser en l'état pour avoir une salade avec de la mâche, ou les couper en petits morceaux, pour une texture plus homogène.  Je préfère nettement la première version, moins timorée. Mélangez le tout. 

Préparez l'assaisonnement. Pressez le citron jaune, et ajoutez une quantité équivalente de nuoc-mam ou de nam-pla. Délayez d'un peu d'eau,  ajoutez du sucre de palme, un peu d'huile de sésame et quelques fragments de piment rouge frais, débarrassé de ses graines, puis trois gousses d'ail finement hachées.

Composez cet assaisonnement un peu au feeling, goûtez jusqu'à ce que vous parveniez à l'équilibre qui vous convient, cela doit être relevé mais pas fort. Versez cette sauce sur la salade, mélangez, ajoutez quelques tronçons de ciboulette thaïe. Laissez au frais une demi-heure avant de servir pour que les saveurs s'osmosent bien entre-elles, mais pas plus longtemps pour ne pas que l'assaisonnement ne fripe les légumes. 

Inutile de préciser que j'ai trouvé ça délicieux, mais j'aime les textures un peu croquantes et fondantes à la fois, comme par exemple celles d'une bonne salade d'oreille de cochon ou de pied de veau. La saveur de la méduse est neutre, et c'est l'assaisonnement qui donne son caractère au plat. Son principal mérite est d'apporter une étonnante fraîcheur en bouche, rien que pour cela elle mérite de figurer sur une table auprès de préparations plus relevées, en épices ou en sucre.  

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